Le président de facto en butte à l’ultime malédiction…. par Léo Joseph

UN FAIT INÉDIT ET HISTORIQUE DANS LA LUTTE DÉMOCRATIQUE EN HAÏTI

  • Catholiques et protestants unifiés autour du rejet de Jovenel Moïse
  • Le président de facto en butte à l’ultime malédiction…. par Léo Joseph

L’air de rien, un événement historique de proportion inédite s’est déroulé inaperçu dans le pays. Les deux plus grandes sectes religieuses ont fait une révolution pacifique, en s’unissant autour du rejet des actes illégaux, anticonstitutionnels et criminels de Jovenel Moïse. Vu la tradition d’inimitié larvée ayant existé entre elles, au cours des ans, l’invitation lancée de part et d’autre, demandant à leurs communautés respectives de se mobiliser contre l’occupant illégal du Palais national, a une valeur incalculable.

En effet, quand bien-même la hiérarchie catholique haïtienne elle-même n’aurait pas expressément endossé la première mobilisation qu’avaient décrétée les pasteurs protestants, les 28 février, 29 et 30 mars de cette année, des représentants autorisés l’avaient fait à sa place. Les frères et sœurs catholiques ayant obéi à la voix de leurs bergers, leur descente dans la rue, en compagnie des différentes composantes de la société haïtienne, durant ces trois jours, les manifestations se sont révélées des événements jamais constatées auparavant. Les citoyens qui n’ont pas connu la vie socioreligieuse des années 40 à 60, en Haïti, particulièrement ceux qui ont vécu dans l’arrière-pays, ne peuvent saisir l’impact de la collaboration et de la solidarité récemment affichées entre le monde catholique et la communauté protestante, un fait rendu possible grâce au soulèvement général que Jovenel Moïse a suscité contre lui. Nombre de fidèles, dans les deux camps, se frottent leurs mains de satisfaction, remerciant Dieu d’avoir don né à ses enfants chrétiens l’occasion de se reconnaître, en tant que citoyens du royaume céleste. N’est-ce pas une bonne bouf fée d’oxygène traversant l’univers religieux haïtien ?

Si, dans le cadre de la mobilisation contre Jovenel Moïse, protestants et catholiques ont trouvé l’opportunité de marcher ensemble, on peut parier que leur Père commun est aussi capable de faire en sorte qu’ils avancent ensemble dans le cadre de l’évangélisation mondiale. Tant pis pour les incrédules et ceux qui persistent à minimiser les pouvoirs du Dieu tout puissant et omniprésent. Car la mobilisation mixte catholique-protestante contre Satan fait chaire, en la personne de Nèg Bannann nan, relève simplement d’un miracle, et l’on doit savoir qui en est à l’origine. Il semble que très peu de gens pense au processus par lequel les autorités des deux principales sectes religieuses d’Haïti en sont arrivées à cette sincère collaboration, sonnant définitivement le glas de cet homme, qui s’est livré corps et âme au Diable, au point de faire toutes ces choses abominables et criminelles que tous lui reprochent contre son propre peuple.

La mobilisation d’inspiration religieuse a attiré la grande foule

L’appel à la mobilisation lancée par le secteur démocratique et populaire et ses alliés avait attiré des centaines de milliers de personnes, dans les rues de la capitale et des villes de province, sans pouvoir maintenir systématiquement la flamme du mouvement de protestation. André Michel et consorts ont récolté une foule immense, que les organes de presse étrangère, notamment CNN, avait évaluée à plus d’un million, à la capitale, en sus des centaines de milliers d’autres dans les autres villes de province. Toutefois, cette performance n’avait pu se répéter, à l’occasion d’autres manifestations. La lassitude s’étant vite mise de la partie, la grande foule ne pouvait plus refouler le macadam. Aussi l’implication du secteur religieux, dans la mobilisation anti-Moïse, s’est-elle révélée une opération de sauvetage du mouvement de contestation contre le porte-étendard du PHTK. D’où l’interaction bienveillante des deux plus grandes sectes religieuses du pays.

En effet, d’abord, les trois journées de manif orchestrées par le secteur protestant, appuyées par les frères et sœurs catholiques, à l’appel de leurs initiateurs. Intervenant à la radio, au nom de l’Église catholique, l’évêque émérite de Jérémie, Mgr Willy Romélus, avait appelé tous les catholiques à l’appui de la mobilisation décrétée par les pasteurs protestants, qu’il a présentée comme un mouvement national.

Comme pour retourner l’ascenseur à ces derniers, car comprenant le devoir sacré de s’unir autour d’une cause juste et nécessaire, les pasteurs protestants ont mis tout leur poids dans la balance en appui à l’invitation à l’action lancée par la Conférence épiscopale haïtienne (CEH). Le mot d’ordre de mobilisation parti du leadership catholique haïtien allait être observé, à travers tout le territoire national, par tous les citoyens, vraiment sans exception de race, de culture ou de relation. S’impliquant à leur tour, aux côtés de l’Église catholique les pasteurs protestants ont mobilisé leurs fidèles, où qu’ils se trouvent sur le territoire national. Un des pasteurs formant le faisceau de la contestation avait même déclaré : « Nan mouvman sa pa gen ni katolik ni pwotestan, se kretyen k ap goumen kon diktaki ». Ce qui a eu pour conséquence : plus de 2,4 millions de manifestants dans les rues; toutes les écoles et universités, catholiques, protestantes et laïques, fermées; toutes les entreprises, commerces et centres d’activités, ainsi que les banques et centres financiers ont chômé, le jeudi 15 avril, à travers tout le pays. Il faut signaler que seule la Banque centrale ou Banque nationale de la République d’Haïti (BRH) n’avait cessé ses activités, ce jour-là.

Dans un contexte où les antagonismes, les empoignades sociopolitiques, quand ce ne sont pas tout simplement des corps à corps, peuplent les quotidiens des acteurs, et qui s’étendent sur la population toute entière, cette collaboration catholique-protestante représente un modèle de comportement. Il reste à souhaiter que, non seulement que les différents autres secteurs du pays se donnent la main, mais que protestants et catholiques trouvent les moyens de pousser encore plus loin cette entente conjoncturelle. On devrait oser croire que, d’un côté comme de l’autre, les dirigeants se mettent à y travailler. Puisqu’une telle initiative plaira à Celui qu’ils aiment et pré tendent servir, en vue des retrouvailles prophétiques.

On est revenu de très loin, dans les relations de la hiérarchie catholique haïtienne, par rapport à leurs frères et sœurs protestants. À coup sûr, la réalité de celles-ci échappe aux gens d’un certain âge, les moins de 50 ans. Comme, par exemple, vers la fin des années 40 début 50, plus particulièrement sous le gouvernement d’Élie Lescot, quand avait cours le mot d’ordre suivant de la hiérarchie catholique : « Ni pwotestan ni lwa, nou pa dwe viv nan sa».

Certes, à l’époque, des prêtres parcouraient les provinces, surtout les campagnes, à la tête de brigades de fidèles fanatisés se livrant au démantèlement des hounfors et à l’arrestation des houngans (prêtre vaudou). Entonnant le chant « Aba Satan (bis), Bondye mande maryaj (bis), Mayifika (bis) Ala younn grann delivrans », d’autres brigades se portaient vers les résidences des paysans, dont la grande majorité vivaient en concubinage, et qui étaient mariés de force, séance tenante.

Plus de : « Ni pwotestan ni lwa, nou pa dwe viv nan sa »

Garçon de 8 ans, à l’époque, j’ai été fortement traumatisé par ces activités des prêtres catholiques, dans la mesure où elles m’ont profondément affecté, dans ma chair et dans mon âme. Mon père, jeune prédicateur pwotestan, avant d’être promu pasteur, puis, éventuellement, président de la «Mission évangélique baptiste du Sud d’Haïti » (MEBSH), alliée à la « West Indies Mission», rebaptisée « Worldteam ».

Aux yeux de l’Église catholique, dans le cadre du programme « Rejeté », initié en collaboration avec le président Lescot, qui venait de consacrer la nation à la Vierge Marie, à l’époque, les protestants étaient mis sous le même pied d’égalité avec les vodouisants.

Installé évangéliste, à Barradères, aujourd’hui, dans les Nippes, qui était alors dans le département du Sud, mon père, par la suite pasteur Joseph Lemeuble Joseph, vaquait à ses activités de routine, visitant les quartiers, à la recherche de nouveaux adeptes. Un jour, un militaire, à l’instigation du curé de la paroisse, a procédé à son arrestation, sous l’accusation de propager sa religion, dont les préceptes s’inspirent de la Bible. Aussi devait-il passer la nuit en prison. Suite à l’intervention de notables de la place, il a été libéré le lendemain.

Point n’est besoin de dire combien cette expérience m’a marqué. Aussi une aversion coriace s’était-elle installée en moi à l’égard de l’Église catholique d’Haïti, particulièrement les prêtres d’origine bretonne, le fer de lance du mouvement « Rejeté ». Toutefois, je me réjouis que grâce à mes interactions avec des condisciples catholiques, à l’école, puis, adulte, dans l’exercice de mes activités professionnelles avec des collègues catholiques, etc., j’ai fini par surmonter ces tendances négatives. D’où le désir intense d’un rapprochement entre les deux plus grandes sectes religieuses d’Haïti qui m’habite. Aucun doute une sincère collaboration des catholiques et des protestants permettra de réorienter la vie du peuple haïtien. Car l’expérience apportée séparément au pays par ces agents sociaux-culturels sera encore plus bénéfique à Haïti dans son contexte unitaire.

Incontestablement, en fonction de ce qu’on a constaté, suite à la collaboration des deux plus grands courants religieux d’Haïti, leurs dirigeants ont du pain sur la planche. Leur Père commun attend beaucoup d’eux. L.J.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 14 avril 2021 VOL. LI, No. 15 New York, et se trouve en P.1, 2, 14 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2021/04/h-o-21-april-2021.pdf