Attention Michel Martelly, Jovenel Moïse, Magalie Habitant et alliés ! par Léo Joseph

LA JUSTICE AMÉRICAINE FAIT 2-KABÈS EN HAÏTI

  • Trafiquant de drogue proche de Jovenel Moïse et super-kidnappeur capturés
  • Attention Michel Martelly, Jovenel Moïse, Magalie Habitant et alliés ! par Léo Joseph

Il existe un proverbe créole qui dit « Magrit al nan mache, pito l mize li pote bon siro » (Partie au marché, il vaut mieux que Marguerite tarde à retourner, mais qu’elle ramène du bon sirop). Ça fait longtemps que les gros trafiquants de drogue et les kidnappeurs opèrent avec impunité en Haïti, sans être jamais inquiétés par la justice et les forces de l’ordre en général. Il semble qu’après un silence, ou une tolérance jugée trop longue, par les observateurs, les institutions fédérales se soient mobilisées. L’arrestation suivie de transfert à Miami, en Floride, de Mathieu Joseph et de Peterson Benjamin, qui comparaîtront devant un juge, probablement au Tribunal de cette ville, pour des crimes qui leur sont imputés. Il s’agit d’un dossier d’ouverture d’une boîte de Pandore, puisque ces deux cas risquent de déclencher la poursuite de nombreux dossiers, en veilleuse depuis longtemps, faute de témoins solides pour présenter ces cas à un juge.

En effet, pour ceux qui connaissent la manière de procéder des deux agences fédérales impliquées dans cette opération, la nature des offenses reprochées à Joseph, proche de Jovenel Moïse et son homme de confiance, en sus de celles qui pèsent sur Benjamin, ces deux dossiers ont le potentiel d’entraîner l’arrestation de grosses légumes politiques haïtiennes restées libres de leurs mouvements, faute de preuves pour être « ramassés » par la Drug Enforcement Administration (DEA) et le Bureau Federal d’Investigation (FBI). Il faut se rappeler qu’en matière de trafic de drogue, cette dernière organisation mobilise ses troupes, en vue de mener l’enquête qui doit aboutir à l’arrestation des accusés. En revanche, les hommes du FBI sont déployés afin d’identifier d’autres criminels et de documenter les actes commis par les individus en question.

Tout cela permet de conclure que la mission des agents de ces deux entités fédérales consiste à dépister les professionnels du trafic illicite de la drogue, ainsi que d’autres crimes, notamment le kidnapping impliquant l’enlèvement contre rançon de ressortissants américains; ainsi que des crimes financiers relatifs au blanchiment des avoirs et aux détournements de fonds publics provenant de l’aide internationale fournie à Haïti par les États-Unis. Pour se faire une juste idée de ce que pourraient fournir ces deux hommes à la justice fédérale américaine, en termes de témoignages, dans les procès qui se profilent à l’horizon, il faut savoir qu’ils détiennent des informations pertinentes sur les grands patrons de la pègre.

Qui est Peterson Benjamin ?

Un des membres du gang armé fédéré à l’armée de Jimmy Chérizier appelée « G-9 en famille et al liés », Peterson Benjamin, connu sous le sobriquet « Cinq Secondes », est le troisième chef de gang dans la hiérarchie de ce groupe, à Village de Dieu, où Arnel Joseph avait régné en maître avant son arrestation, l’année dernière, suivie de sa mort, le 25 février 2021, à Lestère, dans l’Artibonite, au lendemain de son évasion de la prison civile de Croix-des-Bouquets, mort dans une fusillade avec des agents de la PNH. De toute évidence, un lieutenant de ce dernier, assurément impliqué dans les kidnappings et d’autres crimes perpétrés par les gangs armés, Peterson Benjamin sera riche en témoignages pour les procureurs fédéraux.

Sans l’ombre d’un doute, dans le dossier des enlèvements contre rançon, les autorités judiciaires américaines voudront savoir le rôle joué dans ce crime par les dirigeants haïtiens, notamment Magalie Habitant, surtout suite aux dernières révélations faites à son sujet par Junior Albert Augusma, le jeune Haïtien qui avait été pris en otage avec deux techniciens du film dominicain par le chef de gang Ti-Lapli, dont le fief se trouve à Gran Ravine, dans la région de Bolosse, au sud de la capitale. Les aveux de Benjamin seront également recherchés, surtout en raison de la tentative de Jovenel Moïse de faire chanter Luis Abinader, le président dominicain, lui ayant proposé de livrer à son gouvernement Youry Chevry, ex-maire de Port-au-Prince, arrêté en territoire dominicain, en compagnie d’hommes armés, en échange des deux Dominicains. Il y a fort à parier que, aux yeux de la communauté internationale, surtout à cause de ces deux dossiers (Magalie Habitant et les deux Dominicains), les Américains sont super-intéressés à ce phénomène qui domine l’actualité socio-politique haïtienne.

Signalons que l’allure catastrophique qu’a prise le phénomène de l’enlèvement contre rançon, surtout à Port-au-Prince, ces dernières semaines, n’a pas manqué d’attirer l’attention des Américains, à la lumière des témoignages donnés sur la participation de Mme Habitant et d’un de ses véhicules dans le transport et la prise en otage des victimes. De toute évidence, Peterson Benjamin a beaucoup à dire en ce qui concerne la responsabilité des autorités dans ce crime, et à quel niveau.

Que peut offrir Mathieu Joseph à la justice américaine ?

Les informations diffusées sur Mathieu Joseph, à la suite de son arrestation par les autorités fédérales, le présentent comme citoyen américain impliqué dans le trafic de drogues, aux États-Unis, qui fut trouvé coupable de transporter ces marchandises illicites dans ce pays. Il est connu, aux États-Unis, le nom Mathieu Lissner. Retourné en Haïti, en 2008, en violant les termes de sa liberté surveillée, il devint Joseph L. Mathieu. Aussi s’est-il fait octroyer plusieurs cartes d’identité en Haïti : permis de conduire et badge d’accès, au Palais national, en tant que pourvoyeur de service à la présidence, bien que la nature de ceci reste mystérieuse. Il détient encore deux différentes cartes Dermalog (numéros différents), ce qui l’habilitera, sans doute, à voter deux fois, lors des élections que Jovenel Moïse cherche à organiser. Cela confirme l’accusation à savoir que le scrutin que le conseil électoral de ce dernier se prépare à élaborer prévoit le double vote des personnes liées au PHTK.

Dans l’édition du 5 mars, du quotidien floridien The Miami Herald, il est rapporté que Mathieu Lissner (aux États-Unis), ou Mathieu Joseph (en Haïti), 55 ans, a été trouvé coupable de conspirer en vue de transporter «au moins 5 kilogrammes de cocaïne aux États-Unis, en 2006». Il est accusé d’avoir violé les termes de sa période de probation de 10 ans en fuyant en Haïti, en 2008, où il est resté jusqu’à ce qu’il soit capturé par les agents de la DEA avant d’être embarqué, dans un avion spécial, par une équipe mixte de policiers de cette institution et de ceux du FBI. À bord de ce vol étaient embarqués Mathieu Joseph et Peterson Benjamin, vendredi 5 mars, à destination de Miami.

Selon des sources proches de la Police nationale, Joseph avait été appréhendé par les agents de la DEA, mercredi 10 mars, et gardé en détention dans un lieu secret, avant d’être transféré aux États-Unis, deux jours plus tard. Ces précautions ont été prises afin d’éviter qu’il ne soit assassiné ou libéré. Connaissant l’importance que cet homme représente pour la DEA et le FBI, en termes d’informations qu’il est à même de fournir, il était tout à fait indiqué que ces mesures de prudence soient prises dans l’attente de son transfert à destination.

Homme lige de Jovenel Moïse, dont il gère ce qui reste de sa ferme de banane, en déconfiture, en tant que « propriétaire », tel qu’explique sa CARTE D’IDENTITÉ PROFESSIONNELLE, émise sous le nom Mathieu L. Joseph, comme « Entrepreneur Agricole », valable de 2019-2020, il jouait des rôles multiples auprès de la famille présidentielle. Chauffeur de la présidence, il pilote les véhicules faisant partie du cortège du chef de l’État aussi bien que de celui de la première dame.

Affecté dans un premier temps à la gestion de la culture de banane pour exportation, parallèlement aux activités illicites de la drogue dont la vaste propriété était le théâtre, ses tâches ont été, apprend-on, modifiées dans un second temps, suite à l’entrée du couple présidentiel, au Palais national, pour être au service rapproché de son patron. Dans les milieux proches du couple présidentiel, on laisse croire que Mathieu Joseph « veillait au grain » pour la famille présidentielle. Sa présence est indispensable au Palais national aussi bien qu’à la résidence privée du couple présidentiel. Il est toujours présent, dit-on, « là où sa présence est nécessaire ».

Deux suspects très chers dans les lunettes de la justice fédérale

Si les gens impliqués dans le kidnapping pour rançon, en Haïti, doivent se faire du souci, par rapport aux révélations que pourrait faire Peterson Benjamin, aux autorités fédérales, il ne serait pas impossible que les trafiquants de drogue et d’autres personnes engagés dans d’autres activités illicites soient incapables de trouver le sommeil la nuit. Les informations disponibles sur Michel Martelly et Jovenel Moïse autorisent à croire qu’ils doivent redouter les confessions que les agents fédéraux auront arrachées à ces deux hommes. En tout cas, les deux dossiers vedettes liés à ces deux individus, qui viennent d’être transférés à Miami, ne vont pas tarder à déclencher des rebondissements catastrophiques en Haïti. Il y a fort à parier qu’une nouvelle vague d’inculpations à l’encontre des acteurs du kidnapping et du commerce de stupéfiants s’apprête à être lancée.

Quand on parle de Peterson Benjamin, troisième chef du gang de Village de Dieu, on ne peut s’empêcher de penser à Amaral Duclona, alias Berthone Jolicœur, qui devait faire face à la justice française. Il était inculpé, sous l’accusation d’avoir tué, en 2004, le chef d’entreprise Claude Bernard Lauture, citoyen français d’origine haïtienne, suite à son enlèvement contre une rançon de USD 100 000 demandée. La victime avait été simplement assassinée avant que cette somme d’argent ne soit versée.

Lors de son procès, en mai 2014, à Paris, l’avocat général avait qualifié Duclona de « chef de gang sanguinaire », avant de souligner que « Le mobile politique est évident » dans ce cas. La famille de la victime, notamment sa veuve, avait accusé l’ex-président Jean-Bertrand Aristide d’avoir fait enlever son défunt époux. Lors de ce premier procès, Duclona devait écoper d’une peine de 25 ans de prison, dont deux tiers de réclusion ferme.

Toutefois, il devait être acquitté en appel, le 12 février 2016, aux Assises criminelles du Val-de-Marne, en France. À ce dernier verdict devait suivre la décision de l’expulser de France immédiatement. On ignore à quel moment il a laissé le territoire français. Il aurait probablement été forcé de retourner à son pays, aussitôt après son acquittement. Il est possible qu’il ait regagné Haïti et se serait déjà réinséré dans son ancien fief de Cité Soleil.

Il est probable que le sort de Peterson Benjamin soit différent de celui d’Amaral Duclona. Car, non seulement leurs itinéraires criminels diffèrent, mais la justice américaine risque de s’appliquer différemment de celle de l’État français.

Le dossier sécurité et trafic de stupéfiants, l’état des lieux

Suite à l’arrestation de Mathieu Joseph et Peterson Benjamin, par des marshals fédéraux, la situation sécuritaire et les activités illicites vont connaître un changement spectaculaire, en Haïti. Il y a tout lieu de croire que les caïds de la drogue, qui ont eu le vent dans le dos, au cours des dix dernières années, ne savent plus où donner de la tête. Après une longue période de détente, d’indifférence pour certains, de la part des forces de l’ordre, nationales et internationales, le moment est venu de prendre les choses au sérieux.

Il faut se mettre en tête que, du côté de la justice fédérale américaine, une fois est prise la décision d’effectuer des arrestations, le système possède déjà les pièces nécessaires pour lancer le procès de l’accusé, quitte, en avançant, à glaner, ça et là, des preuves additionnelles concernant d’autres « plus gros poissons » déjà dans les lunettes de la justice, mais dont les dossiers ne pouvaient avancer, faute de témoins à charge fiables. Cela vaut dans tous les cas, s’agit-il de dossiers relatifs aux trafics illicites (trafic illégal de drogues, d’armes, blanchiment des avoirs, détournements de fonds publics, ou encore de corruption). Il ne faut jamais perdre de vue que certains cas relèvent de plus d’une offense.

En effet, les enquêtes en cours sur Martelly et Moïse portent essentiellement sur trafic de stupéfiants, blanchiment d’argent, détournements de fonds publics, évasion fiscale (Sweet Mickey exclusivement), etc. Dans le cadre de la pratique d’enquête fédérale, les personnes inculpées, pour quelques raisons que ce soient, seront interrogées sur l’identité d’individus connus ayant donné dans tous ces crimes. Dès lors, on ne peut prévoir combien de chefs d’accusation seront retenus dans l’acte d’accusation décerné contre les éventuels accusés.

Michel Martelly et Jovenel Moïse face à Evinx Daniel

Aucun doute, les agents fédéraux en poste en Haïti n’ignorent pas qui sont impliqués dans les trafics illicites, notamment le commerce de stupéfiants et le trafic illégal d’armes. Mais faire les arrestations, comme plus d’un voudrait le voir, c’est plus facile à dire qu’à faire. Puisque, sans un dossier bien ficelé, manquant de témoins fiables, les agents courent le risque de voir les cas qu’ils présentent au tribunal débouté par un juge pointilleux. Aussi prennent-ils le temps de bien documenter les faits avant d’aller au tribunal. Il est alors aisé de comprendre que ces deux compères n’auraient pu être inculpés en dépit des accusations dont auraient pu être l’objet, ici et là.

Pour ce qui concerne Martelly, par exemple, il y a des années que les observateurs se sentent scandalisés qu’il continue de courir, alors que tout le monde prétend connaître son jeu. Mais, selon toute vraisemblance, les témoignages obtenus à son sujet ne viennent pas de témoins crédibles capables de favoriser un verdict de culpabilité à son encontre. Il semble que la donne change avec la disponibilité de Mathieu Joseph, à la barre des témoins, à Miami.

Quant à Moïse, qui s’accroche désespérément au pouvoir, même au-delà de son mandat constitutionnel, pour ne pas avoir à affronter la justice américaine, son cas n’est pas différent de celui de son prédécesseur.

On se rappelle bien, avant les élections de 2015, que l’Unité centrale de référence fiscale (UCREF) avait recommandé que le candidat Jovenel Moïse soit inculpé pour blanchiment d’argent, selon des faits basés sur des témoignages réunis en Haïti. Quand bien même la justice américaine aurait constaté cette situation, les faits n’auraient pas supporté un tel dossier devant un juge fédéral. Il fallait donc lancer une enquête fédérale en bonne et due forme, avant que ces grosses légumes PHTKistes soient mises aux arrêts, à l’instar de Mathieu Joseph et Peterson Benjamin. À la lumière des derniers événements, faut-il dire qu’il va y avoir des pleurs et des dents ?

Il est opportun également de se souvenir que Mathieu Joseph pourrait détenir de précieuses informations relatives à la disparition d’Evinx Daniel, qui fut porté manquant au moment où il s’apprêtait à faire des aveux aux agents fédéraux relatifs à deux gros trafiquants de stupéfiants. Il a été éliminé, non seulement en tant que témoin, mais aussi en sa qualité de mouchard au service de la DEA.

  • L.J.

Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 10 mars 2021 VOL. LI, No. 109 New York, et se trouve en P. 1, 4, 13, 14 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2021/03/H-O-10-mars-2021.pdf