Immigration : Confiné seul avec sa peur de mourir par Jean Willer Marius
GATINEAU, 23 janvier 2021 ― Par amour de la solitude, certaines personnes choisissent de vivre seules, elles l’assument. D’autres y sont contraints, elles s’étiolent et en meurent. La pandémie nous est tombée dessus comme un coup de poing sur la gueule, personne ne souhaiterait pareille calamité et tous sont obligés, bon gré, mal gré, de composer avec. Si elle a bouleversé nos vies, jadis normales et fauché nombre de nos bien-aimés, elle a dévasté des vies déjà bouleversées, celles de beaucoup d’immigrants obligés de vivre seuls, confinés, sans amis, attendant depuis des années le verdict de l’immigration pour récupérer leurs familles et reprendre le cours de leurs vies.
Il fait bien vivre au pays de la reine, car le Canada n’enverra jamais ses policiers chasser des immigrants dans le froid et retourner se mettre au chaud dans le con fort de leurs foyers. Le Cana da ne prendra jamais l’inhumaine décision de séparer les enfants immigrants d’avec leurs mères; ni de prolonger le cauchemar des Dreamers. Chapeau, Canada !
Toutefois, si le bureau d’ Immigration, Réfugié et Citoyenneté Canada a sauvé bien des vies en les mettant à l’abri de pratiques rétrogrades dans les petits pays, la bureaucratie a, malheureusement, détruit bien des familles, quand les délais du regroupement familial s’allongent démesurément, que les enfants élevés en dehors de la bulle familiale sont voués à une délinquance certaine, ou que les nuits, sans la présence de l’autre moitié, s’éternisent.
Cette hantise de la mort n’épargne hélas! personne, et il est légitime que tout homme formule le vœu de mourir auprès des siens. L’immigrant a dû laisser son pays en catastrophe, sans faire ses adieux. Parti vers l’incertain, il n’a pu insuffler aucun espoir aux membres de sa famille. Des cœurs, qui se nouent, ne peuvent se dissocier sans se déchirer; et c’est ce déchirement mêlé avec la crainte de la COVID qui génère des pensées mitigées et tuera l’immigrant avant même qu’il ne tombe malade.
L’espoir de revoir les siens une dernière fois s’amenuise au fil des mesures prises par le gouvernement pour combattre ce fléau. Ce sont des milliers de vies immigrantes qui devraient compter, mais qui partent en vrille avec cette mise sur pause de tout. La société canadienne ne peut, même en temps de pandémie, oublier cette catégorie d’êtres humains à part entière, quel que soit la couleur de sa peau ou le lieu de sa provenance. Il y a célérité dans l’urgence et cet esprit d’empathie pour la souffrance humaine, qui a toujours caractérisé le Canada, doit pouvoir inspirer aux dirigeants les voies et moyens pour enrayer cette autre pandémie, celle de l’âme humaine, qui détruit les familles immigrantes séparées.
Les liens familiaux sont tellement puissants que certains criminels endurcis, incarcérés pour payer leurs dettes à la société, sont autorisés à recevoir la visite des membres de leurs familles. Pourtant, l’immigrant arrête de compter les années passées sans voir les siens. Si une loi, dans ses variantes, prévoyait qu’une personne devrait être contrainte de vivre des années loin de sa famille, cette loi mérite, au nom de l’humanité, une révision urgente.
Tout cela aurait pu être évité, avec un petit peu plus d’humanité
- * Jean Willer Marius * (enseignant à Gatineau).
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 24 février 2021 VOL. LI, No. 8 New York, et se trouve en P. 12 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2021/02/H-O-24-fevrier-2021.pdf