À l’aube de 2019, la nation est dos à dos avec le gouvernement Moïse-Céant

Éditorial

  • À l’aube de 2019, la nation est dos à dos avec le gouvernement Moïse-Céant

Presque immédiatement après la prestation de serment de Jovenel Moïse comme président de la République, le 7 février 2017, ses relations avec la nation commençaient déjà à se gâter. Loin de trouver un terrain d’entente avec l’opposition et ses détracteurs, Nèg Bannann nan a vu le fossé s’élargir davantage entre lui et ceux qui remettent en cause sa gestion et sa compétence. Par sa maladresse, son inefficacité, mais surtout son entêtement maladif, ajouté au menteur invétéré qui caractérise sa personne, la situation s’est irréversiblement dégradée. Voilà 2018 parvenue à sa fin et l’année 2019 bel et bien commencée. La nation est plus que jamais mécontente contre l’équipe au pouvoir.

Tout au long des vingt-trois mois depuis son entrée au Palais national, on dirait que le président a le don d’accomplir les choses à l’envers, de faire les mauvais choix, alors que la logique aurait suggéré qu’il opte pour décider différemment. À force de faire à sa guise et d’ignorer les désidératas de la grande majorité, celle-ci ne trouve aucune raison de s’identifier à sa politique. Surtout que, élu dans de mauvaises conditions, trop de secteurs étaient, au départ, mécontents contre lui. Que ce soit dans l’élaboration du budget, de ses décisions en matière de salaire des ouvriers, d’éducation ou toute autre question relative à ses actions politiques, Jovenel Moïse affiche systématiquement une attitude anti-peuple. Si bien qu’il se fait décerner l’étiquette de chef d’État le plus hostile à l’égard des couches nécessiteuses de l’histoire récente d’Haïti.

À maintes occasions, il tranche en faveur des bourgeois, traitant la majorité des citoyens en parents pauvres. Pourtant, il ne semblait trop se préoccuper face à la grogne populaire réagissant à sa politique délétère. D’aucuns diraient qu’il a pris des décisions délibérément hostiles aux intérêts nationaux, car plus sou cieux de satisfaire ceux de sa clientèle, particulièrement le secteur bourgeois qui a financé sa campagne électorale et dont les acteurs se mettent en ligne pour se faire récompenser.

Assurément, les mauvais choix qu’a faits Jovenel Moïse ont entraîné les incidents malheureux des 6,7 et 8 juillet de l’année dernière ayant entraîné la chute du premier ministre Jacques Guy Lafontant, passé pour victime expiatoire. Quand bien même celui-ci aurait été invité à prendre le chemin de la porte, point de doute que le président était la principale cible de la contestation. Aussi Lafontant a-t-il été mis sur la touche sans toutefois donner satisfaction aux in satisfaits. Mais l’arrivée de Jean Henry Céant à la primature n’autorise aucun espoir que l’insatisfaction va disparaître, ou tout au moins s’estomper. Car tout semble indiquer que M. Moïse a définitivement perdu les pédales et n’a plus les moyens d’apaiser le peuple en colère. Puis que les événements qui ont suivi le départ de Jacques Guy Lafontant, et qui ont salué l’entrée de Jean Henry Céant à la primature, semblent vouloir dire que les choses se sont définitivement gâtées.

Et pour cause !  Puisque Jovenel Moïse a mal interprété l’attitude du peuple, après les événements de juillet, une accalmie qu’il a prise pour une paix permanente, sans qu’il n’ait rien donné en retour. Au contraire, par maladresse politique ou provocation délibérée, il n’a cessé de multiplier les actes hostiles, franchement criminels à l’égard des couches démunies. On peut citer, par exemple, sa décision d’appuyer les patrons, face aux revendications salariales des ouvriers de la sous-traitance. Aussi la dispute avec les enseignants. En sus de l’augmentation des prix des produits pétroliers, qui ont déclenché les actes de violence du mois de juillet, il a ajouté la démolition illégale et arbitraire de maisons appartenant à ses voisins, sous prétexte qu’il avait besoin de ces propriétés pour la construction d’un héliport.

Il faut rappeler également que Jovenel Moïse néglige de payer les arriérés de salaire aux policiers, au personnel diplomatique et consulaire, ainsi qu’aux enseignants, alors qu’ il trouve les moyens de dépenser des centaines d’USD millions $ qu’il investit dans des véhicules de luxe et la machinerie lourde, afin, tout simplement, de récompenser les bailleurs de fonds de sa campagne présidentielle.

En dépit de toutes les décisions qui lui ont valu l’inimitié de peuple, le président n’a pas jugé nécessaire de poser un seul acte susceptible de l’apaiser. Au contraire, il continue de multiplier ses égarements politiques. En effet, la plus crasse hostilité affichée à l’égard de la nation par Jovenel Moïse se résume dans la protection qu’il accorde aux dilapidateurs du fonds PetroCaribe. À ce niveau, il démontre clairement qu’il n’a aucune affinité avec elle, mais plutôt avec ceux qui conspirent pour escroquer le peuple, et qui inventent tous les moyens possibles pour le dépouiller. En ce sens, il joue le rôle de mercenaire impénitent.

Dans le dossier PetroCaribe, le président Moïse fait montre d’une consistance déroutante. Non seulement il se dérobe par rapport à ses responsabilités constitutionnelles, pour avoir prêté serment de respecter et de faire respecter la Constitution et les lois du pays, mais il démontre systématiquement où sont ses intérêts. Du point de vue économique, il se range du côté du secteur bourgeois; avec ses alliés politiques, de clan et sa famille, il partage leurs options politiques et sociales. Après plus d’un an que le secteur démocratique et populaire mène campagne pour que soient traduits en justice les hommes et femmes qui ont volé les USD 3,8 milliards $ du fonds Petro Caribe, Moïse ne se lasse pas de s’ériger en défenseur de ces derniers. Ainsi a-t-il tout fait pour tourner les citoyens contre lui. Bien que le détournement de cette fortune constitue un motif de désaveu populaire du chef de l’État, il n’est pas le seul à faire démériter ce dernier aux yeux de la majorité des citoyens. Moïse a pris d’autres décisions encore plus graves. « Le Massacre de La Saline » constitue la dernière goutte d’eau qui fait déverser le vase. Là encore, l’équipe Moïse-Céant s’est acoquinée avec les criminels des gangs armés pour massacrer des dizaines de citoyens de ce quartier de la capitale. Il ressort que toutes les fois que le président haïtien est acculé à prendre une décision pour démontrer sa solidarité avec le peuple, il opte de préférence pour faire le mauvais choix. Ces incidents, occasionnés par des partisans du pouvoir, ont provoqué la mort de plus de soixante-dix citoyens ― hommes, femmes et même des enfants. Non seulement aucune enquête en bonne et due forme n’a été diligentée en vue d’identifier les coupables et imposer les châtiments que de droit, les autorités passent cette affaire sous silence, comme s’il s’agissait de quelques douzaines de canards sauvages abattus par des chasseurs.

Tous ces faits et décisions sont intervenus au cours de l’année 2018. Le président Moïse a laissé pourrir la situation jusqu’à ce que la nouvelle année soit arrivée, sans rien faire pour rectifier le tir. Une nouvelle couche de mécontents vient s’ajouter à plusieurs autres déjà mobilisées contre M. Moïse et son équipe.

Après une série de levées de boucliers des citoyens mécontents contre le pouvoir en place, sous forme de manifestations de rues, dont celles des 17 octobre et 18 novembre, sans oublier les émeutes du mois de juillet, l’équipe Moïse-Céant continue à subir les foudres des insatisfaits, impatients de se venger contre des dirigeants malhonnêtes en poste en Haïti. C’est tout ce qu’on peut attendre d’une nation dos à dos avec ses dirigeants.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur édition du 9 janvier 2019 et se trouve en P. 10 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2019/01/H-O-9-janv-2019.pdf