Guy Philippe est débouté de son appel

CONDAMNÉ INITIALEMENT À 9 ANS DE RÉCLUSION

  • Guy Philippe est débouté de son appel Par Léo Joseph

Les espoirs qu’avaient entretenus Guy Philippe et ses alliés politiques en Haïti de voir son jugement casser en appel se sont évanouis à la faveur du verdict prononcé par un juge qui a repoussé de telles prétentions. À la lumière des fabulations concernant la justice américaine qu’ont présentées le condamné pour trafic de drogue, ses conseillers haïtiens et proches collaborateurs agissant et se prononçant loin de la scène juridique américaine, il faut se demander si cette dernière décision apporte un tant soit peu d’éclairage à leur compréhension de la manière dont fonctionne la justice dans ce pays. En effet, dans son édition du 4 janvier 2019, sous la plume de Jay Weaver et de Jacqueline Charles, le quotidien floridien The Miami Herald fait état de l’échec essuyé par Guy Philippe, dans le cadre de l’appel de sa condamnation à neuf ans d’emprisonnement, après avoir plaidé coupable de blanchiment d’argent, en juin 2018. Suite à ce der nier jugement, M. Philippe, sénateur élu pour le département de la Grand’Anse, dont l’arrestation par un contingent de la Brigade de lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS) secondé par des agents de la Brigade fédérale américaine antidrogue (sigle anglais DEA), alors qu’il se trouvait en instance de prêter serment, il semble qu’il soit condamné à purger sa peine. À moins d’une mesure de clémence des autorités.

Erreur grossière dans les arguments de l’appel

Interjetant appel de sa condamnation à la prison pour une durée de neuf ans, Guy Philippe se plaint de ce qu’il qualifie d’ « inefficacité » de ses avocats les accusant, de surcroît, d’ « avoir prêté leur service aux deux parties ». Aussi a-t-il demandé au juge Cecilia Altonaga de casser la décision initiale qui avait été prise à son encontre. Mais cette manière dont M. Philippe interprète la loi ne s’inscrit pas dans la logique du manuel d’application des lois au niveau fédéral. L’intéressé a commis une erreur grossière dans son argumentaire, la décision que celui-ci entraîne risque de sceller son sort pour le reste de sa sentence.

Le juge Altonaga a relevé la contradiction qui caractérise le raisonnement de Philippe, en commençant par sa capacité de comprendre le processus sans l’assistance d’un interprète, précisant qu’il comprend parfaitement bien l’anglais.

Mieux encore, le magistrat a rappelé au demandeur que la sentence dont il a écopé résulte d’un « arrangement entre l’accusation et la défense», qu’il a négocié en connaissance de cause, visant à réduire sa peine. Car, M. Philippe avait admis, avant même que soit prononcée sa sentence, qu’il était « coupable» de blanchiment des avoirs. En d’autres termes, le juge Altonaga lui a rappelé qu’au fait le verdict émis contre lui avait été établi avant la lettre. Pour comble de malheur, Mme Altonaga a souligné que, dans le cadre de son accord avec le Bureau du procureur fédéral, il n’a aucun droit d’aller en appel. D’ailleurs, le juge a porté à l’attention de l’intéressé qu’il avait également pris l’engagement formel de ne pas aller en appel. Voilà pourquoi certains observateurs avaient, au préalable, estimé l’appel sans mérite. Dans de telles conditions, ils s’attendaient même à ce que le Tribunal rejetât la demande de casser le jugement de l’intéressé sans lui donner audience.

La décision du juge Altonaga basée sur la recommandation d’un collège

Avant que soit rendu le verdict du juge Altonaga, la requête en appel de Guy Philippe avait fait l’objet d’une audition du juge Patrick White. Ce dernier avait conclu que l’ex-commissaire de Police et sénateur élu n’avait aucune qualité pour se présenter comme demandeur en cassation par rapport à sa condamnation du mois de juin de l’année dernière, car celle-ci était basée sur sa culpabilité avérée ― et qu’il avait lui-même reconnue ― de blanchiment d’argent.

Mme Altonaga a souligné, lors de l’audience qu’elle avait tenue, sur la demande en appel de Philippe, que ce dernier n’avait rien à reprocher à ses avocats. En d’autres mots, elle a obtenu « confirmation il était satisfait de la représentation qu’il a reçue de ses avocats ».

Une attaque du verdict du juge Altonaga auprès d’une autre instance

Guy Philippe ne se laisse pas décourager ni démoraliser par la décision du juge Altonaga à son encontre. Un article dans l’édition du 4 janvier 2019 du Miami Herald indique son intention de l’attaquer auprès de la Cour d’appel fédéral basée à Atlanta, en Georgia.

Selon toute vraisemblance, le même recours sera porté par-devant cette instance judiciaire. Il semble que M. Philippe soit resté insatisfait de la représentation assurée par les avocats qu’il avait engagés pour plaider son cas en juin 2018, dont un, Allan Ross, est mort. Il s’agirait, paraît-il, de soumettre à la Cour d’appel d’Atlanta le même dossier sur lequel vient de se pencher le juge Altonaga.

Environ douze mois depuis son arrestation par des policiers de la BLTS, le 5 janvier 2017, avant de le livrer aux agents de la DEA, et six mois après sa condamnation à neuf ans d’emprisonnement, Guy Philippe a lancé son deuxième procès contre les autorités américaines. Dans sa première action judiciaire, l’année dernière, lancée contre des ambassadeurs américains en Haïti, des procureurs fédéraux ainsi que des agents de la DEA, il les accusait d’avoir violé ses droits. Il réclamait aussi des dommages et intérêts de l’ordre d’USD 100 millions $. Sans doute les diplomates américains ont été visés pour leur rôle présumé dans les négociations ayant abouti à son arrestation, le 5 janvier de l’année dernière, suivie immédiatement de son transfert à Miami, en Floride, par les agents de la DEA.

Qui conseille à Guy Philippe ?

Après son deuxième échec au Tribunal fédéral de Miami, cherchant à obtenir l’annulation de son jugement, Guy Philippe a indiqué son intention de continuer à se battre pour recouvrer sa liberté. À la lumière de ses initiatives, faut-il poser la question de savoir si Philippe n’a tiré aucune leçon utile par rapport aux deux premières plaintes dont il a saisi le Tribunal fédéral de Miami, la dernière en date remontant seulement à la semaine dernière ?

Mais il est opportun aussi de savoir qui conseille à Guy Philippe pour qu’il reste convaincu d’avoir une chance quelconque de bénéficier d’une décision favorable auprès de la Cour d’appel fédéral. Dans ce cas, on peut se demander si l’intéressé profite des rares conversations téléphoniques qu’il a eues, de sa cellule étant, avec ses potes et alliés politiques en Haïti pour se faire conseiller en matière juridique. D’autre part, on ne peut imaginer l’ancien haut gradé de la PNH et sénateur élu avoir la prétention d’assurer sa propre représentation au Tribunal fédéral se basant uniquement sur les notions de droit haïtien qu’il a acquises à la Faculté de droit d’Haïti, dont il n’est même pas diplômé. Il semble qu’il manquerait la compétence nécessaire pour pénétrer la logique de la pratique du droit au niveau fédéral, qui est totalement différent, à bien des égards, par rapport à celle en cours dans les États ou les municipalités.

Sous ce rapport, il est également opportun de rappeler que les pratiquants du droit en Haïti formés à l’Université d’Haïti n’ont pas l’habitude de transférer leurs compétences aux États-Unis avant de faire de nouvelles études à une faculté de droit de ce pays. À moins que Guy Philippe fasse appel à la compétence d’avocats ayant l’expérience de la pratique de ce métier, aux États-Unis, il court le risque de buter sur des écueils s’il se présente devant un juge fédéral armé de raisonnements venant de ceux qui le poussent à afficher son arrogance dans le traitement de son propre cas.

Soulignons également que quelques semaines avant le jugement rendu par le juge Altonaga, j’ai reçu plusieurs appels de gens en Haïti me disant avoir appris que Guy Philippe était en instance de sa libération de la prison fédérale de Miami. Cette information donnait à plus d’un l’idée de lui préparer un accueil chaleureux à son retour au pays. Je suis enclin à croire que cette idée faisait suite à la garantie que le prisonnier avait donné à ses ouailles en Haïti qu’il allait redevenir maître de ses mouvements.

Dans la même édition du 4 janvier 2019 du Miami Herald encore, Jacqueline Charles et Jay Weaver signalent que Guy Philippe a exposé sa plaidoirie sous forme d’un document manuscrit de quarante pages environ. Bien que celui-ci reste la possession du Tribunal fédéral, il y a fort à parier qu’il est truffé de raisonnements illogiques et totalement étranges par rapport à la pratique du droit aux États-Unis.

En décidant d’assurer sa propre représentation, dans ce cas spécifique, l’intéressé avance des hypothèses fondamentalement erronées. Puisque, pour avoir «plaidé coupable», dans le cadre d’un « arrangement spécial » avec les procureurs fédéraux, il renonce automatiquement à son droit d’appel. Surtout quand cette option lui offre la garantie d’une réduction de sa peine. L.J.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur édition du 9 janvier 2019 et se trouve en P. 1, 2, 3 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2019/01/H-O-9-janv-2019.pdf