QUELLESLECONS HAITI DOIT-IL TIRER DE L’AFFAIRE GUY PHILIPPE

Il paraît que toute l’administration haïtienne ait été mise en suspens, après que Guy Philippe eut plaidé coupable, suite à un compromis entre ses avocats et les procureurs fédéraux, contre remise de peine. Au Parle ment haïtien, aussi bien qu’à la présidence, personne n’entendait prendre de décisions, ni passer de nouvelles lois portant sur l’extradition, ou engager de disposition défiant les Américains pour la manière dont l’accusé Philippe a été saisi, en plein jour, à Port-au-Prince, puis transféré, le soir même, à Miami. Les premiers instants de remontrances, au Palais législatif, passés, avec l’adoption, par le Sénat d’une résolution, appuyée par la Chambre basse, condamnant l’« enlèvement » de M. Philippe, restera lettre morte, la présidence ne l’ayant jamais publiée dans Le Moniteur, l’organe officiel d’État. Ainsi, tout le monde attendait la décision du juge fédéral, à Miami.

En effet, à Port-au-Prince, centre nerveux du système politique haïtien, personne n’avait pensé à prémunir le pays contre une nouvelle affaire Guy Philippe. Peut-être que les dirigeants du pays, tous indistinctement, étaient rendus hébétés par le choc de la capture du sénateur élu de la Grand’Anse, incapables de réaction éclairée à cette époque de confusion générale. En dépit des palabres et des affectations, qui se donnaient libre cours au sein des sénateurs et députés proches du trafiquant Guy Philippe, personne n’a osé suggérer de doter nos institutions de moyens adéquats pour surmonter les dures épreuves telles que celles suscitées par les démêlés de Guy Philippe avec la justice américaine. Surtout quand des parlementaires présentement en poste sont suspectés d’avoir appartenu à la même ligue que ce dernier dans l’univers des trafiquants.

La donne vient de changer en Haïti où les dirigeants, faute de mieux, se voient acculés à réagir à la
décision du juge fédéral imposant neuf ans de réclusion à Guy Philippe. D’où la question : Quelles leçons tirer de l’affaire du sénateur élu de la Grand’Anse, mais qui n’a jamais prêté serment ?

D’aucuns diront que la législation haïtienne ne s’est pas prononcée clairement et de manière décisive sur la question d’extradition et de coopération du pays avec les Américains, ou tout autre pays étranger désireux de réclamer un fugitif pour quelque motif que ce soit. À l’heure des crimes transnationaux, il faut s’attendre à une répétition du geste qui a provoqué le scandale Guy Philippe. Mais il est nécessaire, du même coup, de nous entendre sur la question. Car on ne doit pas oublier que l’opération
d’extradition (et d’expulsion de citoyens haïtiens) a été menée déjà plus de vingt-cinq fois dans le passé
sans provoquer trop de remous dans l’opinion publique. Et le Parlement haïtien se retranchait toujours dans son sacré silence, même après l’arrestation et l’extradition de Fourel Célestin, un ancien président du Sénat sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide. Maintenant s’est déclenché un tollé parce qu’un sénateur élu a été victime des mêmes pratiques ayant fait jurisprudence au cours des vingt dernières années.Sans aucun doute, personne ne se serait ému outre mesure s’agissait-il d’un simple citoyen. À moins que celui-ci serait de la famille de « trafiquants généreux » dont l’influence n’est pas à dédaigner dans le monde parlementaire. Particulièrement ceux dont l’argent sale sert à financer la campagne de sénateurs et députés corrompus liés à la pègre.

Plusieurs secteurs politiques du pays pensent que le Parlement, notamment le Sénat, a pour responsabilité d’aborder la question avec sérieux et de légiférer sereinement, avant que ne ressurgisse une situation pareille à l’affaire Guy Philippe. Surtout qu’il y a de fortes possibilités que ce sera le cas, suite aux révélations prétendument faites par le sénateur élu de la Grand’Anse aux autorités judiciaires fédérales. Au fait, on se demande si nos législateurs auront le temps d’aborder la question et de trouver une réponse appropriée avant que la prochaine tragédie ne frappe à la porte. Mais rien n’autorise à croire que les différents courants d’idées qui traversent le Parlement finiront par s’accorder sur les moyens de répondre à temps au moment où le mauvais sort arrive. Car, il y a fort à parier qu’aucun consensus ne sera trouvé pour porter les parlementaires à parler d’une seule voix concernant le problème d’extradition/expulsion.

Quoique veuillent dire et penser les secteurs concernés par la question, il faut bien se rappeler que cette affaire ne saurait jamais se séparer de celle des sanctions à infliger aux citoyens qui donnent, allègrement et sans aucune retenue, dans les activités illégales, tenant le pays captif de leurs crimes. Puisque, avant de prendre en compte le concept d’extradition et d’expulsion, il faut, à tout prix, traiter son corollaire, qui est la manière de réprimer les trafics illicites. La nonchalance de la justice haïtienne restant la cause principale de l’impunité dont jouissent les criminels, qui font la pluie et le beau temps, les pays qui cherchent à obtenir l’extradition de citoyens haïtiens, suite à leur inculpation pour trafic de
drogue, ne lésineront guère sur les moyens pour parvenir à leurs fins.

Certes, en matière juridique ou légale, les pays normaux souhaitent toujours traiter avec des États qui
respectent les normes internationales. Par exemple, les demandes d’extradition se font régulièrement
entre les pays européens. Les États-Unis ont recours à ce procédé dans quasiment tous les pays de l’hémisphère. Et si elle se pratique régulièrement entre ce pays et ses voisins latino-américains ou caribéens, cela s’explique par le fait que les activités criminelles sont plus intenses dans cette région. Pour Haïti, en particulier, le phénomène d’extradition en sens unique avec le grand voisin est devenu un fait récurrent, surtout durant les deux dernières décennies ou presque, propulsé par l’augmentation du trafic illicite, particulièrement de drogue. Si les distributeurs de ces dangereuses substances, à tous les niveaux, raisonnent en termes de milliards de dollars de profit à réaliser, les pays ciblés eux-mêmes
pour la distribution réagissent en se donnant les moyens de protéger leurs frontières. Aucun doute la détermination des autorités des pays consommateurs à développer des politiques de limitation de l’importation de ces matières ne va pas diminuer face au génie des cartels de la drogue d’écouler leurs produits.

Tout compte fait, les décideurs haïtiens ont pour obligation de se mettre sérieusement au travail pour
résoudre ce problème en prenant en considération toutes ces données, surtout en veillant à écarter la dichotomie des relations injustes entre petits et grands États, pays nantis et nations moins pourvues. Car, si les institutions haïtiennes particulièrement concernées, en premier lieu la présidence et le Parlement, négligent de doter le pays de moyens sûrs de traiter dans la dignité avec les États-Unis et d’autres pays, dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, le blanchiment des avoirs et d’autres crimes transnationaux, Haïti connaîtra des moments encore plus difficiles avec ses voisins du Nord.

En effet, le souci de s’enrichir vite gagnant de jour en jour de terrain, les acteurs du crime ne cessent d’innover dans la recherche de nouveaux créneaux d’exploitation. Aussi, parallèlement au trafic de stupéfiants et au blanchiment, d’autres infractions sont-elles venues s’ajouter au menu, donnant aux États ciblés par les cartels de nouveaux soucis. À ces crimes transnationaux s’ajoute le terrorisme
international financé par les millions générés par la vente des stupéfiants. Aussi dès lors que ce dernier
est introduit comme fléau à combattre, les États consommateurs prendront-ils toutes les dispositions
nécessaires pour se protéger. Y compris l’utilisation des moyens forts.

Pour toutes ces raisons, les responsables haïtiens doivent se mettre au travail, afin d’éviter une situation encore plus grave que l’affaire Guy Philippe.