Jovenel Moïse : Un intrus dans le concert des Nations par Editor

ÉDITORIAL

  • Jovenel Moïse : Un intrus dans le concert des Nations par Editor

Dans le monde diplomatique où l’hypocrisie et la langue de bois sont la norme, on se garderait de donner à Jovenel Moïse le traitement qu’il mérite, lui laissant l’impression d’être bien accueilli au sein de ses pairs. Mais les événements survenus en Haïti, ces derniers jours, l’ont présenté sous son vrai jour : le dirigeant d’un pays dont le comportement officiel le fait passer pour un intrus parmi les hommes d’État, ses pairs.

Si après toutes les accusations portées contre le président de facto d’Haïti exposant, avec force détails, les crimes dont il fait sa politique, notamment les assassinats commandités, les massacres d’État, pour aboutir aux kidnappings contre rançon et autres aussi graves, la communauté internationale continuait de l’appuyer politiquement et diplomatiquement sans réserve, le moment est venu de jouer, car tes sur table avec le peuple haïtien. Après que son cri d’alarme eut été ignoré, à la suite de toutes ces années, il vient d’afficher sa détermination à en finir avec un régime trop longtemps toléré par ceux qui se croient autorisés à s’autoproclamer dépositaires de la démocratie.

En effet, les citoyens haïtiens, toutes catégories sociales confondues, ont enduré de l’homme qui a prêté serment, bien que sous le coup d’une inculpation pour blanchiment d’argent, de respecter et de faire respecter la Constitution du pays. Cet acte a été posé en présence des représentants des pays dits « amis d’Haïti » ayant constaté que tout se passait comme cela se fait chez eux. Ils en ont profité pour féliciter notre pays de s’engager résolument sur la route de la démocratie.

Mais ces « amis d’Haïti », dont bon nombre se regroupent au sein du CORE Group, sont aussi témoins des nombreuses dérives et de multitudes actes criminels avérés perpétrés contre le pays et les citoyens avec flagrance par Moïse. On en offre pour preuves : l’assassinat crapuleux, le 28 août 2020, du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Monferrier Florival; quelques jours auparavant, les cadavres de Norvella Bellamy, haut cadre de la Banque de la République d’Haïti (BRH), ainsi que de sa compagne, Daphnée Fils-Aimée, ont été retrouvés en leur résidence à Delmas 75; soixante-douze heures avant ce double crime, dans leur maison, à Peggy-Ville, les cadavres de l’institutrice et poétesse Farah Martine Lhérisson ainsi que son compagnon, l’ingénieur Lavoisier Lamothe, étaient découverts. Une troisième personne était aussi trouvée morte, à la barrière d’entrée de leur résidence. Selon toute vraie semblance, il s’agissait là de crimes commandités, surtout quand les enquêtes de la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ), l’institution à qui incombe une telle responsabilité débouchent sur le néant.

La communauté internationale ne peut prétendre ignorer ces crimes et bien d’autres commis sous l’administration PHTKiste dirigée par Jovenel Moïse, car ayant fait la une dans la presse haïtienne. Ni les exécutions sommaires faites dans les quartiers populaires de La Saline, de Cité Soleil, du Bel-Air et de Carrefour Feuilles, dont le nombre de victimes pourrait dépasser 150 personnes, parmi elles des femmes, des personnes âgées et même des enfants en bas âge. Les organisations de défense des droits humains, ayant mené des enquêtes sur ces massacres dans les bidonvilles, ont fait état de cadavres livrés en pâture aux pourceaux, établissant l’authenticité de ces faits.

Or, les conditions dans lesquelles ont été commis ces forfaits ne laissent aucun doute, quant à leur commanditaire. Des hommes liés au pouvoir ont participé à l’exécution de ces tueries. On citera Jimmy Chérizier, dit barbecue, ex-policier expulsé de l’institution policière pour comportement qui ne sied pas à un officier de Police; Fednel Monchéry, ancien directeur départemental de l’Ouest et Joseph Pierre Richard Duplan, ex-secrétaire d’État à la Sécurité publique. De même, la Police a été partie prenante de ces exécutions, car les criminels dépêchés dans ces quartiers à de telles fins bénéficiaient des logistiques de celle-ci, y compris véhicules blindés mis à leur disposition.

Face à toutes ces monstruosités criminelles, les diplomates accrédités en Haïti, dans le passé, prenaient leurs distances par rapport au gouvernement. François Duvalier en savait long. De même que son rejeton de président à vie, Jean-Claude Duvalier, qui l’avait succédé. La génération d’Haïtiens qui a vécu cette époque, quand l’intégrité diplomatique était la norme, ne peut se taire de nos jours, quand certains représentants étrangers en poste au pays investissent leur temps dans des activités tout autres que celles liées à leur profession.

Mais depuis que le mandat constitutionnel de Jovenel Moïse a pris fin, le 7 février, il s’est enfoncé encore plus loin dans ses dérives criminelles. Si ses amis les diplomates estimaient avoir eu de bonnes raisons d’appuyer ses politiques nationales au relent de la mafia, les événements qu’elles ont sus cités, ces derniers jours, devrait faire tirer la sonnette d’alarme, tant qu’ils sont contraires aux principes de la bonne gouvernance et à l’État de droit.

On peut d’abord attirer l’attention sur ses premiers actes de cette nature, l’arrestation illégale et anticonstitutionnelle d’un juge de la Cour de cassation, la plus haute instance judiciaire du pays, ainsi que celle de l’inspectrice générale de la Police nationale. Consécutivement, il a, encore illégalement et unilatéralement, fermé la Cour de cassation et l’École de la magistrature, avant de révoquer, en violation de la loi et de la Constitution, trois juges du Tribunal de cassation, puis la nomination de trois autres, également en violation de la Constitution.

Certes, l’enlèvement contre rançon de deux sujets dominicains et leur interprète haïtien a permis d’identifier les vrais auteurs du kidnapping : le gouvernement Moïse-Jouthe. Puisque, si les gangs armés ont la responsabilité de se saisir des victimes, les hommes et femmes du pouvoir planifient cette sale besogne, ainsi que les logistiques de l’encaissement de la rançon. Des éléments clés du processus se sont révélés. Une fois libéré de ses ravisseurs, Junior Albert Augusma, l’interprète haïtien kidnappé en compagnie des Dominicains, a fait des révélations pertinentes. Selon lui, c’est Magalie Habitant, grande trafiquante de drogue devant l’Éternel et bailleuse de fonds du président de facto, qui avait conduit les deux Dominicains et lui-même à la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ). Ce qu’elle a admis lors d’une interview à un journaliste de Magic-9. Dire que Mme Habitant a été nommée directrice du Service national de gestion des résidus solides (SNGRS), sous Michel Martelly. D’autre part, le sénateur Patrice Dumont a révélé que les hommes armés qui tentaient, à leur tour, de kidnapper le Dr Ernst Paddy, et qui l’ont abattu parce qu’il ne pouvait se faire aussi rapidement qu’ils le voulaient, parce qu’ il est handicapé, circulaient à bord du véhicule dans lequel Mme Habitant conduisait les victimes du kidnapping au DCPJ.

Pour sa part, Jovenel Moïse avait téléphoné au président dominicain, Luis Abinader pour l’informer de la libération des deux citoyens dominicains et de Junior Albert Agusma. Cela indique que Jovenel Moïse, qui tentait de proposer l’échange de l’ex-maire de Port-au-Prince Youri Chevry contre la libération des otages dominicains est, en fait, le patron du kidnapping. Cela prouve que l’ex-président connait l’identité des kidnappeurs, qui n’a pas été rendue publique. Ce qui conforte la théorie énoncée dans l’éditorial du quotidien dominicain Listin Diario, et largement accréditée en Haïti, déclarant que Jovenel Moïse avait fait kidnapper les Dominicains, en guise de représailles contre le président Abinader. Car le président dominicain n’a pas donné suite à sa demande d’échanger M. Chevry contre la libération des captifs dominicains. Voilà une stratégie qui relève de la mafia.

Un autre fait qui prouve la nature criminelle de l’ex-président haïtien se dégage de la mutinerie dont a été le théâtre la prison civile de Croix des Bouquets, le jeudi 25 février, un incident qui reste entouré d’un grand mystère. Comment se fait-il que le directeur de ce centre carcéral, la personne la mieux protégée de cette institution, soit l’unique décès enregistré au sein du personnel ? Il est aussi bizarre de constater le silence des autorités, politiques et policières, à l’égard de la mort de l’inspecteur divisionnaire Paul Hector Joseph, survenue lors de cette mutinerie. Dans une conférence de presse donnée par le nouveau secrétaire d’État à la Communication, Frantz Exantus, celui-ci a parlé de tout, sauf du chef de la prison décédé. Même pas un mot de sympathie à sa famille. Ce n’est qu’avant-hier, lundi 1er mars, que le président de facto a daigné remplir cette formalité, dans le cadre de l’annonce d’un train de mesures, dit-il, pour combattre l’insécurité en général et le kidnapping en particulier.

Il y a lieu de poser la question : tous ces faits relevés ici décrivent-ils des actes d’un chef d’État légitime et intègre, digne du respect et de l’estime de ses collègues ? Qui se sentira à l’aise en compagnie du président de facto d’Haïti ? Aucun doute, la communauté internationale a du pain sur la planche, par rapport à Jovenel Moïse, désormais reconnu « kidnappeur en chef ».


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 3 mars 2021 VOL. LI, No. 9 New York, et se trouve en P. 10 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2021/03/H-O-3-mars-2021.pdf