Sauvegardons la mémoire du général Férou, le Libérateur de la Ggrand’Anse (1776-1807) par Eddy Cavé
En essayant la semaine dernière de trouver des photos pour illustrer mon plus récent livre, qui traite de la mort tragique des principaux signataires de l’Acte de l’Indépendance, j’ai fait une découverte déconcertante. Je savais, comme tout le monde, que le général de brigade et signataire de l’Acte de l’indépendance Laurent Férou avait été inhumé au Fort Marfranc, à une dizaine de kilomètres de Jérémie, mais je pensais que le tombeau était encore intact. Voici ce qui en reste :
Faute d’avoir une photographie de ce héros qui a libéré la Grand’Anse deux mois avant la chute de Vertières, j’ai demandé à des amis vivant à Jérémie de me faire avoir quelques photos de son tombeau. En moins de 24 heures, les réponses sont venues et elles m’ont déchiré le cœur.
La tombe du général Laurent Férou devant laquelle je me prosterné si souvent dans mon jeune âge est toujours plantée au centre du Fort Marfranc, mais elle est maintenant méconnaissable. Aujourd‘hui, elle passerait facilement pour un bloc de ciment recouvert d’une plaque de céramique ou tout au plus pour le lieu de repos d’un « grand don ». Heureusement que les vieux du village sont là pour renseigner l’étranger de passage sur les exploits du héros qui y sommeille.
La tombe du général Férou est donc toujours au même endroit, mais elle ne porte toujours aucune indication de nom, ni un mot de reconnaissance à l’endroit de ce père fondateur qui a également construit le Fort Marfranc.
La grande différence aujourd’hui, c’est que cette tombe a été recouverte de carrés de céramique blancs posés à l’initiative d’une âme charitable, la religieuse sœur Laurette Pierre, qui désirait, de sa propre initiative, la protéger de la fureur des intempéries. Et pourtant, l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN) a visité les lieux à plusieurs reprises et même publié de nombreuses photos du site, dont celles reproduites ici.
Quand on pense que les restes de Jean-Jacques Dessalines sont encore enfouis sous les décombres de l’ancien Cimetière intérieur de Port-au-Prince, Place Sain te-Anne, à proximité de la carcasse du cheval de son aide de camp Charlotin Marcadieu, on est presque tenté de considérer le général Férou comme un privilégié. Dans les deux cas, l’indifférence des élites dirigeantes, l’irresponsabilité, l’inconscience et l’indécence des autorités sont inacceptables. Il faut absolument un sursaut de patriotisme et de fierté nationale pour freiner ces dérives.
À l’approche des festivités prévues pour marquer le 265e anniversaire de la fondation de la ville de Jérémie, je lance un cri de révolte pour dénoncer ces agissements scandaleux. J’en appelle pour cela à la solidarité et à la générosité des citoyens, ainsi qu’au sens des responsabilités des autorités compétentes, si tant est que cet te qualité existe encore, pour corriger cette situation inacceptable.
J’invite également les médias à contribuer à la sensibilisation du public à ce problème d’envergure nationale et à appuyer cette initiative citoyenne.
Il est aujourd’hui de notre devoir de donner une sépulture décente à ce Libérateur de la Grand’ Anse. Nous devrons par la même occasion consigner par une épitaphe appropriée sa contribution décisive à la victoire sur les Français en 1803.
Crions d’une seule voix : Hal te à l’incurie ! Arrêtons la dérive qui a permis que le tombeau d’un père fondateur de la Patrie se désintègre ainsi dans l’indifférence générale.
J’ai alerté et sondé, la semaine dernière, des amis historiens et des proches déjà sensibilisés à la question, et l’idée a été accueillie avec enthousiasme. Le révérend père Jomanas Eustache, curé de la paroisse de Numéro Deux et directeur de l’École de droit de Jérémie, a déjà commencé à explorer sur place la faisabilité d’un petit projet d’érection d’un tombeau à la hauteur du personnage. Cet ami a déjà fait ses preuves dans la gestion de projets d’envergure en dotant sa paroisse d’une église grandiose. Avec un tel sou tien initial, ce petit projet a toutes les chances de se concrétiser rapidement. Dans le premier cercle des amis historiens, les promesses de soutien sont venues spontanément, et elles ont été suivies par celles de citoyennes et de citoyens des horizons les plus divers. Je compte annoncer bientôt la création du collectif qui sera chargé de recevoir les dons et de mener le projet à terme.
En dressant un petit monument, si modeste soit-il, à la mémoire de ce natif des Côtaux, qui a fait de la Grand’Anse sa terre d’adoption, nous témoignerons de notre reconnaissance envers un citoyen de grande valeur qui s’est sacrifié pour nous léguer une patrie. En même temps, nous susciterons un intérêt pour Mar franc qui a beaucoup à offrir au tourisme local. Une photo de Fort Marfranc à l’occasion d’un des congrès de poésie organisés à Jérémie, au début de la décennie, par le poète et professeur de droit Guy-Marie Louis. Elle montre l’intérêt que le site peut susciter comme lieu de mémoire et comme escale d’un éventuel circuit touristique dans la Grand’Anse. Il suffira d’un peu de bonne volonté et d’un faible montant d’argent pour vaincre l’indifférence envers le général oublié, Laurent Férou et stimuler un intérêt pour sa ville d’adoption.
Après avoir figuré sur la carte des fortifications, Marfranc pourra ainsi devenir à la fois un lieu de mémoire et une escale intéressante des circuits du tourisme local. edddynold@ gmail.com Ottawa, le 12 décembre 2020
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur (New York) VOL. L No. 50, édition du 23 décembre 2020, et se trouve en P. 3, 4 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2020/12/H-O-23december-2020.pdf