Les élections faites sur mesure s’achoppent sur la condamnation générale

ÉDITORIAL

  • Les élections faites sur mesure s’achoppent sur la condamnation générale

Bien que Jovenel Moïse tarde à renoncer publiquement à son projet chimérique d’organiser des élections faites sur mesure, cela crève les yeux que celui-ci n’a aucune chance de réussir. Les condamnations, endogènes et exogènes, lancées contre lui ne laissent point de doute que les initiatives mises en place par le Palais national, dans le cadre de cette folie politique, montrent un chef d’État prisonnier d’un rêve impossible, qui risque de l’entraîner dans une fatale aventure.

Après avoir exprimé son intention d’organiser des élections, sans en jamais fixer l’échéance, M. Moïse n’a toutefois pas hésité à aller de l’avant en annonçant, d’abord, la création d’un conseil électoral. Joignant le geste à la parole, il devait, ensuite, identifier les neuf membres de son organisme électoral, qui a été vivement dénoncé par quasiment tous les secteurs de la vie nationale. Si radicale était la résistance à ce projet d’élection que le chef d’État haïtien a été acculé à nommer ses conseillers électoraux en dehors des prescrits de la Constitution, car ayant essuyé le refus des secteurs prévus par la Charte fondamentale pour contribuer des membres à la formation de cette institution. Voilà encore une autre dérive de l’occupant du Palais national dont le quinquennat est peuplé d’actes illégaux et de décisions totalement contraires aux prescrits de la Constitution.

Par la création de cet organisme électoral illégitime, Jovenel Moïse affiche sa volonté d’ignorer les revendications de la grande majorité du peuple haïtien, dont de nombreuses institutions ont démontré clairement leur refus d’aller aux élections avec lui au pouvoir. Enfoncé dans son obstination à continuer dans cette voie, il n’a point tenu compte du refus des entités traditionnellement fournisseuses de membres aux Conseil électoral provisoire (CEP), tel que prévu par la Constitution de 1987 amendée, et observé religieusement dans le choix des conseillers électoraux ayant organisé et supervisé les élections qui se sont déroulées depuis la chute des Duvalier, y compris le scrutin qui a porté Jovenel Moïse au pouvoir. Ce dernier se comporte comme s’il bouche les oreilles pour ne pas entendre les cris de protestation qui montent de tous les coins du pays contre son projet d’élections, au risque même de plonger le pays dans une crise encore plus grave que celle dans laquelle il l’a enfoncé. C’est dans cette logique qu’il n’a point tenu compte de l’indifférence manifestée par la Cour de Cassation à l’égard de son CEP illégal, refusant de l’assermenter en guise de son rejet par rapport à la manière dont il est mis sur pied.

Toutefois, dans son entêtement forcené à rester au pouvoir avec le PHTK, Moïse continue sans désemparer sa stratégie électorale. Aussi, immédiatement après que son organe électoral eut été boudé par la plus haute instance judiciaire du pays, lui a-t-il donné l’investiture, lors d’une cérémonie spéciale tenue au Palais national. Un événement, au demeurant, hors de propos, car ordinairement reconnu sans effet avant que ne soit tenu le processus de prestation de serment de ses membres par devant la Cour de Cassation.

La tentative de Jovenel Moïse de faire prêter serment aux conseillers électoraux, auprès de la Cour de Cassation, a été précédée de déclarations des partis d’opposition, toutes tendances confondues, ainsi que quasiment toutes les organisations sociopolitiques, religieuses et de la société civile rejetant le Conseil électoral monté par le président haïtien. Tout cela démontre qu’il méprise souverainement les groupes de dissidents nationaux, ayant décidé de passer outre aux appels des uns et des autres à des élections justes, démocratiques et sincères lancés dans les coins et recoins du pays. Sans le moindre doute, pareille attitude du chef de l’État ouvre la porte grande à la violence de la part d’un peuple désormais impatient d’endurer trop longtemps l’indifférence à ses revendications de la part d’un pouvoir totalement rejeté.

Mais Jovenel Moïse a fait tant et si bien que la communauté internationale, longtemps identifiée à ceux qui tolèrent ses dérives et confortent ses décisions antinationales et anti-peuple, qui ne cessent de se multiplier, s’est prononcée ouvertement contre le scrutin que se propose d’organiser ce dernier. De toute évidence, si, fermant les oreilles aux dénonciations véhiculées par le peuple haïtien et les secteurs démocratiques, car comptant sur l’appui des ambassades étrangères, surtout de celle des États-Unis, il doit désormais se rendre à l’évidence qu’il ne peut plus miser ses espoirs sur l’ensemble de ces milieux.

En effet, dans une intervention sur les élections, au début du mois, lors d’une visite à Jacmel (dans le département du Sud-Est), l’ambassadeur de France en Haïti, José Gomez, a dénoncé la tenue d’élections de la manière dans les conditions envisagées par M. Moïse. Selon lui, les conditions ne sont pas réunies pour les favoriser. M. Gomez pense que les joutes électorales démocratiques et justes ne sont pas possibles quand les gangs armés tiennent le haut du pavé. « On ne peut pas garantir de bonnes élections quand le territoire est contrôlé par des gangs », a lancé le diplomate français. Évoquant des raisons techniques il a fait état de l’indisponibilité des listes électorales, qui ne sont pas dressées, ainsi que les cartes électorales, dont la compagnie allemande Dermalog est responsable de la production. Il insiste également que le respect des normes établies par la Constitution pour former le Conseil électoral soit un passage obligé. « Il faut y arriver », s’est-il écrié.

Par ailleurs, si la représentante adjointe de France auprès du Conseil de sécurité, à New York, dénonce, par-devant cette assemblée, le lundi 5 octobre, la politique générale de Jovenel Moïse, Mme Nathalie Broadhurst a critiqué vivement l’organisation des élections telles que souhaite les réaliser le président haïtien.

En effet, Mme Broadhurst a déclaré : « Nous déplorons que toutes les initiatives de dialogue aient échoué depuis deux ans. Pourtant, la résolution de cette crise, nous le savons tous, ne pourra advenir qu’à l’issue d’un dialogue national inclusif entre toutes les forces politiques du pays, notamment avec l’opposition, la société civile et le secteur privé. Ce dialogue est indispensable pour garantir l’organisation crédible et transparente des prochaines échéances électorales et de la révision de la Constitution, si tel est le souhait des Haïtiens. La France exhorte le président Jovenel Moïse à être à la hauteur des circonstances pour mettre fin à cette situation de blocage ».

De son côté, le député Maxine Waters, représentante de la Californie, au Congrès américain, et président du Comité des Services financiers, a adressé une lettre à l’ambassadeur américain en Haïti, Michele Sison, dans laquelle elle l’enjoint de prendre ses distances par rapport au scrutin que le président haïtien propose d’organiser. Et Mme Waters de souligner, à ce sujet : « Je vous écris pour vous demander instamment d’utiliser votre expérience diplomatique considérable et votre influence auprès du gouvernement haïtien en vue de promouvoir le respect de l’État de droit et des droits de l’homme fondamentaux et de vous opposer à l’organisation d’élections en Haïti, jusqu’à ce que les attaques généralisées à motivation politique contre les détracteurs du gouvernement en Haïti aient cessé; que leurs auteurs aient été tenus responsables; qu’un Conseil électoral provisoire indépendant puisse être formé avec une large participation de la société civile, et conformément à la constitution haïtienne, et que tous les partis politiques, les parties prenantes, les organisations de la société civile et les citoyens haïtiens puissent participer aux élections sans crainte ».

En clair, c’est peut-être la première fois que des entités étrangères aient exprimé des positions aussi fermes à l’égard du régime présidé par Jovenel Moïse. Dans la mesure où, chien couchant du Blanc, l’occupant du Palais national s’empresse toujours d’obéir à ses ordres, il y a fort à parier qu’il fera marche-arrière par rapport à son projet d’élections faites sur mesure.

Toutefois, il mise sur un soutien de son patron, à Washington, pour continuer à mener sa politique scélérate contre le peuple haïtien. Il croit possible un miracle électoral, le 3 novembre prochain, aux États-Unis, que son Blanc l’emportera sur son rival démocrate. D’ailleurs, ce dernier a déjà pris ses distances, par rapport au désordre organisé installé en Haïti. Alors, se sentira-t-il à son aise d’enfoncer la nation au fond du gouffre.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haiti-Observateur, édition du 14 octobre 2020, VOL. L No. 40 et se trouve en P. 10 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2020/10/H-O-14-octobre-2020.pdf