Hommage à Bookman par Frantz Célestin
*De nos jours, il est fort ais de constater que, grâce aux réseaux sociaux, l’information circule de façon claire et nette, et à grande vitesse, à travers le monde entier et qu’il est plus que jamais difficile pour la plupart des hommes blancs racistes de camoufler les injustices criantes qu’ils infligent, souvent encore aux Noirs, et ce, très souvent, sans raison valable. A considérer les traitements inhumains dont ces derniers sont victimes de la part de certains membres de cette population blanche, on doit se demander dans quelle mesure ces gens-là ne se sentent pas autorisés, aujourd’hui encore, en 2020, à se comporter de façon bien plus cruelle que ne l’étaient les négriers et les colons du seizième siècle à l’endroit des nègres.
Il y a plus de 400 ans que les droits des Noirs ne cessent d’être sauvagement brimés. Il y a plus de quatre siècles que l’homme noir n’arrête pas de lutter pour défendre ses droits et éliminer les inégalités chroniques dont il est victime. En dépit de tout ce temps et malgré tous les efforts, il est encore difficile de croire que les choses ont le moindrement changé.
À partir de 1789, la «Déclaration des droits de l’homme» aurait fortement constitué, croirait-on, l’élément déclencheur du processus d’amélioration de la situation. Cependant, bien vite, on se rendait à l’évidence que le changement escompté était loin d’être pour le lendemain. Car, d’entrée de jeu, les esclavagistes de l’époque se sont déchaînés contre une partie de cette «Déclaration» à jamais historique. Ils ont tout essayé pour en empêcher l’application des dispositions concernant l’émancipation des Noirs.
Heureusement, à l’encontre de toutes les démarches, de toutes les tergiversations et tractations malveillantes, cette «Déclaration des droits de la personne» ne se révélait pas, à l’époque complètement vaine pour les Noirs. En effet, elle contribua amplement à transformer la mentalité non seulement des affranchis, mais aussi des esclaves. Car, dès lors, aux oreilles de ces derniers, résonnaient plus que souvent les mots : «Liberté, Égalité».
Ainsi, ils commencèrent sérieusement à réaliser que le jour était proche où ils verraient leurs chaînes de servitude disparaître pour laisser libre cours à une nouvelle ère où, devant la loi, ils bénéficieraient des mêmes droits et prérogatives que n’importe quel citoyen à part entière.
Les répressions brutales ne suffisaient plus pour les intimider outre mesure. Aussi, quelques-uns d’entre eux, perçus comme des leaders incontestables, résolurent-ils de conjuguer leurs efforts pour endoctriner et diriger l’ensemble de leurs compagnons dans la bataille qui allait les conduire à la pleine conquête de leur liberté.
Parmi ces leaders, on peut citer : Boukman, Toussaint Louverture, Jean-François, Biassou et quelques autres qui vont se signaler de façon très importante dans le cadre du déroulement des hostilités. Celui qui décida de prendre le taureau par les cornes, ce fut Boukman.
Boukman
Boukman est reconnu comme l’une des figures de proue qui, le premier, passa de la parole aux actes en ce qui concerne l’organisation de la lutte pour l’abolition de l’esclavage. À en croire plus d’un historien, ce géant prit naissance dans l’esclavage à la Jamaïque. À l’âge adulte, il fut vendu par un négrier contrebandier anglais à un colon de Saint-Domingue qui l’affecta sur la plantation Turpin.
Sa très grande taille jointe à sa musculature impressionnante faisait de lui un géant dont la personnalité transcendait. On le décrivait comme un activiste antiesclavagiste, un homme « énorme, imposant », doué d’un tempérament explosif. En plus d’être un esclave durant le jour, Boukman était aussi, durant la nuit, un «hougan». En d’autres termes, il était un prêtre de la religion vodou. Cela lui valait d’être considéré comme une personne-ressource qui pouvait, selon Wade Davis « interpréter un ensemble complexe de croyances, et lire dans les feuilles et dans les pierres ».
À cela, Gerson Alexis ajoute qu’un hougan, dans son milieu est considéré comme «un père de famille, leader social, ministre du Culte, devin, sorcier. Il trône au milieu d’un petit monde tout imprégné déjà des valeurs de la culture vodou, qui les accepte, les vivifie, les transmet aux intéressés par tous les moyens offerts par le système».
En conséquence, son statut de «hougan» permettait à Boukman de bénéficier d’un grand respect de la part d’un nombre important d’esclaves noirs originaires d’Afrique et qui sont déjà adeptes de cette religion. De plus, ce monsieur était doué d’une force herculéenne et d’un esprit vif qui ne manquèrent pas d’attirer l’attention des esclaves.
Une telle belle prestance physique jointe à ses appréciables qualités intrinsèques lui octroya le bénéfice de la considération tant de ses pairs que de son maître qui alla même jusqu’à lui confier des postes de prestige comme ceux de cocher et de commandeur autrement dit de superviseur.
Selon l’historien J.C Dorsainvil, « Sur tous les esclaves qui l’approchaient, il exerçait une ascendance qui tenait du prodige ». Par surcroît, parmi toute la population de Noirs, à Saint-Domingue, dont la très grande majorité était des analphabètes, Dutty Boukman, comme on l’appelait souvent, savait lire. Encore plus, certaines sources non vérifiées prétendent aussi qu’il était un musulman.
C’est de là, pense-t-on, que lui venait le surnom de « Book man », terme habituellement employé dans les colonies anglaises pour désigner les Nègres qui pouvaient lire le Coran. Conscient de cette impressionnante feuille de route, qu’il comptait à son actif, le flamboyant colosse décida de se servir de sa notoriété pour organiser une réunion décisive à l’intention de tous les Noirs connus sous le nom particulier de « Nègres marrons ».
C’est de cette appellation de « nègre marron » que découlait le terme « marronnage » pour désigner le phénomène par lequel un certain nombre d’esclaves rebelles parvinrent à s’échapper de l’attention de leurs maîtres et de leurs surveillants pour s’enfuir très loin dans la forêt et se réfugier dans des coins presque inaccessibles où ils pouvaient jouir de leur liberté sans se faire attraper.
Boukman allait profiter d’un tel rassemblement de « nègres marrons » pour enflammer les esprits et, du même coup, évoquer, compte tenu de la conjoncture, l’urgence de s’unir, une fois pour toutes, afin de briser les chaînes de la servitude. Jusque-là, les démarches allaient bon train. Tout laissait présager un dénouement conforme à leur volonté de se libérer de l’esclavage.
Cependant, avant d’aller plus loin, Boukman tenait à s’assurer de la confiance et du dévouement de tous. Un lieu reculé près de la localité de Morne-Rouge située à une vingtaine de kilomètres de la ville du Cap-Français aujourd’hui Cap-Haïtien fut désigné pour la tenue de cette rencontre clandestine. Il s’agissait d’une clairière du «Bois-Caïman» sur l’Habitation Lenorman de Mézy.
Aujourd’hui, nous sommes plutôt en 2020. Un copier-coller des événements de l’époque des Mackandal, des Boukman, des Yayou et d’autres est loin d’être possible. Néanmoins, notre temps présent doit certainement s’inspirer de certaines leçons d’un tel passé glorieux pour finir par réaliser les vœux du mouvement « Black Lives Matter (BLM) » qui se traduit par « Les vies noires comptent » ou aussi «La vie des Noirs compte ».
Ce mouvement politique (BLM) né en 2013 aux États-Unis après l’assassinat d’un jeune Noir par des policiers blancs en Floride a précisé son objectif principal lors de la présidentielle Américaine de 2016. Cet objectif consiste en « un plan officiel avec six demandes » qui sont les suivantes :
- « En finir avec la guerre contre le peuple noir », dont les exécutions arbitraires de personnes noires par la police américaine
- Des réparations pour les blessures passées et présentes, notamment « l’esclavage et la colonisation » avec notamment «la gratuité de l’université et un revenu minimum garanti ».
- Des investissements dans l’éducation, la santé et la sécurité des personnes noires.
- De la « justice économique », avec un plan social spécifiquement dirigé envers les personnes noires.
- Davantage de «contrôle communautaire».
- L’émergence d’un « pouvoir politique noir indépendant »
Actuellement, nous en sommes là. La route est plus que cahoteuse, mais il est certain qu’un jour, la gent noire atteindra son but. À tous les pionniers qui ont laissé leur vie dans la lutte pour la reconnaissance évidente de «l’égalité des races», disons : «Merci». Mais, particulièrement à Dutty Bookman qui, immédiatement après le supplice de la roue infligé à François Ogé et Jean-Baptiste Chavannes, n’a pas eu peur d’aller de l’avant et mettre ses talents d’organisateur et de leader hors pair au service de la poursuite du mouvement d’émancipation de tous les Noirs, nous devons rendre un «VIBRANT HOMMAGE ».
*Frantz Célestin, auteur du livre « Haïti : Le colon, le Nègre et l’empereur ». 44 Banting Crescent Brampton, Ontario L6Y 2K9 HYPERLINK “mailto:Fcelestin34@yahoo.ca” Fcelestin34@yahoo.ca 1 (905) 456-6710
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur (New York) édition du 16 septembre 2020, VOL. L No.36 et se trouve en P. 12 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2020/09/H-O-16-septembre-2020.pdf