Boukman et le Bois Caïman par Garaudy Laguerre
Sur les ondes de la station Magic 9, le 17 août 2020, mon ami Pierre Buteau, historien et membre de la Société haïtienne d’Histoire et de Géographie, répondant à la question et aux commentaires pertinents de Robertson Alphonse: «Que nous reste-t-il du Bois Caïman» ? et «Comment se fait-il que nous célébrions Notre Dame et pas Boukman» ?, comme prémisse, a fait jaillir le doute sur la véracité de la cérémonie du Bois Caïman, bien qu’il affirme y croire personnellement. Pourtant, en tant qu’intellectuel avisé, Pierrot doit savoir que la prémisse d’un argument, ce doute sur Bois Caïman, est ce qui restera inscrit dans la mémoire…quels que soient les arguments qui suivent.
Quelles sont, alors, l’utilité et l’économie de ce doute, sinon de participer à la déconstruction d’une histoire et d’une culture dont la construction n’est même pas achevée et dont l’existence est encore en butte à des obstacles historiques dignes d’un complot planétaire ?
La question en fait n’est même pas de savoir si la cérémonie du Bois Caïman a bel et bien eu lieu, mais plutôt de vénérer cette histoire, ce fait historique, de la mettre dans notre Panthéon imaginaire, de la faire connaître aux jeunes, au monde entier et aux générations à venir, vu l’ère nouvelle et libératrice que cette cérémonie, mythique ou pas, a introduite dans l’histoire de l’humanité.
Il n’y a aucune civilisation, culture ou société, qui ait été construite, sans une dimension mythologique de son épopée ou de ses leaders, justement à cause du caractère inédit et historique de leurs réalisations. La question a-t-elle jamais été posée si oui ou non dans les lieux “saints” en Europe, il y a effectivement eu ou pas des miracles ? Sur la base de l’histoire ou de mythes fondateurs, ces lieux sont devenus des lieux de pèlerinages, et de ce fait, de grands pourvoyeurs de fonds liés au tourisme et au pèlerinage de croyants. Actuellement, par exemple, il est interdit en France, sous peine d’emprisonnement, de dire que la Shoah juive n’a pas eu lieu. Il faut dire que le nombre officiel de victimes a même augmenté d’année en année… Voilà un fait historique dont les données évoluent avec le temps, mais je ne connais pas beaucoup de Juifs, pour ne pas dire aucun Juif, historien ou pas qui mettrait en doute la Shoah. Pas parce que c’est récent, mais parce que ce ne serait pas dans l’intérêt national d’Israël et de la collectivité.
Il faut poser la question alors, en Haïti, au-delà des questions sociales et de couleurs si nous n’avons pas deux nations.
Pourquoi d’une part, semer le doute sur la véracité du Bois Caïman et de l’autre, encenser Bouman (à tort ou à raison) comme ayant quasiment la même importance que Toussaint, Dessalines, Christophe et tenez-vous bien, Pétion, tombeur de Dessalines?
Cette volonté de mettre tout le monde au même rang que Dessalines ne fait que diminuer ses réalisations et leur portée historique et universelle.
En effet, pour expliquer les raisons pour lesquelles la cérémonie du Bois Caïman et, par conséquent, le vaudou, ont été négligés par les leaders politiques et pouvoirs qui se sont succédé depuis ladite cérémonie, Pierrot a argué que «Toussaint, ne voulant pas antagoniser les différents secteurs en présence, n’a pas agité cette question; Christophe s’était versé dans l’éducation et la modernité; et Pétion fut le premier à reconnaître le vaudou tacitement dans la constitution de 1816, en favorisant la liberté des cultes ». Alors que selon lui, «Desalin pa vle tande bagay sa a, depi ou nan vodou, li tiye w».
Sur le principe et l’histoire, Pierrot s’est trompé. La vérité historique est que dès la constitution de 1806, la question des cultes était déjà réglée par Pétion: en son article 35, il est dit clairement : «La religion catholique, apostolique et romaine étant celle de tous les Haïtiens est la religion de l’État. Elle sera spécialement protégée ainsi que ses ministres».
Ne pourrait-on déduire que de fait, le libellé de cet article a eu pour effet de rendre tous les autres cultes, particulièrement le vaudou, subversifs et clandestins? Or, Dessalines avait codifié et promulgué sous forme de lois toutes ses positions sur toutes les questions sociales, économiques et politiques qu’il estimait importantes… Par contre, la constitution dessalinienne de 1805 n’a pas traité à proprement parler de la question des cultes. On pourrait tout à fait présumer que Dessalines considérait que l’État devait être laïc et que les questions de cultes devaient rester des choix sociaux, communautaires ou individuels, mais certainement pas qu’il était criminel, à moins d’avancer les cadavres comme preuves ou encore la documentation historique y relative. À moins qu’on veuille croire que Dessalines sortait le soir, incognito pour aller persécuter et assassiner les vaudouisants…On pourrait même aller jusqu’à conclure également que les acteurs de la campagne «Rejeté » s’étaient inspirés de Dessalines.
Pierrot dans son intervention a cité l’article 49 de la constitution de 1816, mais il n’a pas cité l’article 48 de cette même constitution. L’article 48 est une copie conforme de l’article 35 de la constitution de 1806.
L’article 49 de la constitution de 1816, que Pierrot a cité et qui paraît plus libéral, n’a pas d’équivalent dans la constitution de 1806. L’article 49 de celle-là ne saurait donc exprimer la position politique de Pétion sur les cultes et le vaudou, car celle-ci était déjà bien exprimée depuis 1806, dans l’article 35 qui n’a pas été mentionné. Cette position est reprise telle quelle dans l’article 48 de la constitution de 1816. En d’autres termes, l’article 49 a donné une ouverture dans le cadre d’un système déjà établi depuis 1806, soit deux mois après l’assassinat de Dessalines. Cette ouverture dans l’article 49 visait peut-être à accommoder les églises protestantes (à investiguer). Je crois que les idées et interrogations de M. Robertson Alphonse sont pertinentes et méritent d’être traitées et débattues dans un cadre politique ou académique, sérieusement, mais sereinement, dans l’intérêt de la nation haïtienne.
Il n’y a aucune économie à traiter le Père fondateur de tueur. Et s’il l’a été, c’était pour nous libérer de l’esclavage, des ennemis internes et externes et nous réintroduire dans l’humanité.
Pierrot est un grand ami, un frère, un collègue et un collaborateur de longue date, mais je me devais de réagir à ces affirmations pour le moins troublantes. J’espère que mon ami rétablira la vérité historique, pour le bien de ses étudiants et pour affranchir le nom du grand et immortel Dessalines.
- Respect et amitiés, G.L. 17 août 2020
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, New York. Édition du 26 août 2020, VOL. L No. 33 et se trouve en P.4 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2020/08/H-O-26-august-2020.pdf