Les conservateurs n’y comprennent vraiment rien par Jean Chrétien
- LA CHRONIQUE DE JEAN CHRÉTIEN
En écoutant le ministre des Finances déballer son Exposé économique, le 2 décembre 1992, je me suis rappelé l’adage d’un historien célèbre qui prétendait que le passé avait d’abord tendance à se répéter de façon tragique, et de façon tout à fait grotesque par la suite. D’une année à l’autre, les conservateurs sont sous l’emprise de leurs politiques désastreuses qui paralysent le pays et font subir à la population canadienne la pire récession depuis les années 30. Les conservateurs n’y comprennent vraiment rien.
Si la conjoncture actuelle n’était pas si désastreuse, les mesures annoncées dans le mini-budget auraient pu, tout au moins, être tournées en ridicule. Mais lorsqu’on sait que le Canada compte plus de 1,6 million de chômeurs, soit 11.8% de la main-d’œuvre, 2,3 millions de bénéficiaires de l’aide sociale, 3,8 millions de personnes vivant en deçà du seuil de la pauvreté, dont plus d’un million d’enfants, et que les banques alimentaires ont accueilli plus de 2 millions de Canadiens, alors là on regarde de près.
Comment les conservateurs ont-ils réagi ?
Ont-ils lancé une offensive contre le chômage ? Non. Ils consacreront 2,4 milliards de dollars pour lutter contre…. les chômeurs. Réductions des prestations d’assurance-chômage, exclusion des personnes qui démissionnent, même si elles ont de bonnes raisons de le faire. Cette douche froide sur le dos
Jean Chrétien est chef du Parti libéral du Canada et chef de l’Opposition à la Chambre des communes à Ottawa.
Les conservateurs ont-ils lancé un programme concret de relance économique ? Non. Le soutien accordé aux petites entreprises par l’allègement des cotisations à l’assurance-chômage, la majoration du plafond des prêts et l’instauration d’un crédit d’impôt à l’investissement est insuffisant. Le programme de réfection des infrastructures ne créera que 5 000 emplois, soit la moitié des emplois qui disparaîtront au CN seulement. Le quart des 2,4 milliards de dollars qui seront récupérés par les modifications à l’assurance-chômage. En deux ans, cet Exposé économique privera l’économie canadienne de 6 milliards de dollars. Toute une performance.
L’échec du ministre des Finances à proposer de véritables mesures de relance est doublement incompréhensible, si on considère que l’accroissement du déficit et de la dette – qui ont rendu le mini budget nécessaire – est le résultat d’une lourde perte de revenus et non d’un accroissement des dépenses. En un mot qui surprendra, sauf les conservateurs, le problème est la récession. Ceux qui nous y ont plongés devraient pourtant être les premiers à s’en apercevoir. Mais non, ils n’ont toujours pas compris.
Les libéraux veulent stimuler la reprise économique par des initiatives favorisant la création d’emplois et la croissance du secteur privé. Dès janvier 1992, nous proposions un plan économique d’urgence en cinq points. Le plus important volet de ce plan d’urgence : la mise en œuvre d’un programme national de modernisation des infrastructures dont les coûts seraient partagés également entre le fédéral, les provinces et les municipalités.
Même si les conservateurs affirment qu’un tel programme ne ferait qu’empirer le déficit, des études ont démontré qu’un investissement d’un milliard de dollars dans nos infrastructures se traduirait par une dépense nette égale ai tiers de l’investissement initial, suite à la création d’emplois et aux économies réalisées au chapitre de l’assurance-chômage et de l’aide sociale. En effet, chaque chômeur représente pour le contribuable canadien une dépense annuelle atteignant près de $15 000 en prestations d’assurance-chômage ou d’aide sociale et une perte de revenus fiscaux de $7 000.
Il est difficile d’imaginer pire situation budgétaire que le gâchis créé de toutes pièces par les conservateurs. Pour 1992-93, le déficit dépassera de presque 7 milliards de dollars les prévisions initiales et de 10 milliards de dollars en 1993-94.
Les Canadiens et les Canadiennes trouvent inacceptable que le gouvernement s’entête à reconduire les mêmes politiques restrictives qui ont provoqué la récession. Si le ministre des Finances et ses collègues n’y comprennent rien, la population comprend for bien. Elle a compris qu’elle aura l’occasion de changer d’orientation économique en 1993, elle votera alors pour se donner un avenir meilleur.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, New York ; VOL. XXIII No. I édition du 30 décembre 1992, et se trouve en P.10, 20 à : (temporairement) http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2020/08/ho30decembre1992.pdf