FAUTE DE PAIEMENT, PAS D’HÉLICOPTÈRE JOVENEL MOÏSE FORCÉ D’ANNULER SON DÉPLACEMENT DANS L’ARTIBONITE

LE RÉGIME MOÏSE-CÉANT EN FAILLITE par Léo Joseph

  • Faute de paiement, pas d’hélicoptère
  • Jovenel Moïse forcé d’annuler son déplacement dans l’Artibonite

On ne saurait s’aventurer jusqu’à dire que « le charme est rompu» entre le président d’Haïti et Shérif Abdallah. Mais on peut, tout au moins évoquer la boutade « No money, no honey». Ce sont les idées qui traversent l’esprit quand on apprend l’humiliation qu’a essuyée Jovenel Moïse, le week-end dernier, lorsqu’il a été littéralement « mis à pied » par un de ses plus sûrs bailleurs de fonds, celui qui lui fournissait l’hélicoptère pour effectuer ses déplacements à l’intérieur du pays.

En effet, le journaliste Luco Désir avait, le premier, dénoncé ce qu’il qualifie d’« humiliation» dont a été l’objet la plus haute autorité du pays. Il expliquait que son entourage, les « autorités constituées » et tout le grand apparat qui fait partie du cortège présidentiel et de son entourage, à l’occasion de ses déplacements hors de la capitale, attendaient aux Gonaïves l’arrivée de M. Moïse. Il allait venir participer à une cérémonie de remise de neuf ambulances dans l’Artibonite. Mais, au grand étonnement de tout ce monde, qui attendait, le président était «porté manquant». On ignorait quel mauvais génie avait contrarié le départ du président de Port-au-Prince.

Selon Luco Désir, le « bon ami » du président l’a bel et bien lâché au moment où les finances de l’État ne pouvaient plus répondre du train de vie auquel s’étaient progressivement accoutumés les leaders haïtiens post-Duvalier. Le week-end écoulé, l’hélicoptère généralement pris en location de Shérif Abdallah, qui arrivait toujours à l’heure, à l’aéroport, pour chercher le président et l’amener à destination, n’était pas au rendez-vous. Lors que M. Moïse a tenté de téléphoner à son ami Abdallah, il était, lui aussi, «en absence illégale ». Shérif Abdallah ne répond plus à son téléphone. En tout cas, pas au président Moïse. Informé par le président, le Premier ministre Jean-Henry Céant a appelé lui-même Shérif Abdallah. Ce dernier a répondu. C’est alors que le chef du gouvernement a compris que le propriétaire de l’hélicoptère était bien présent, mais qu’il avait décidé de ne pas répondre à l’appel du président de la République. Au bout du fil, Shérif Abdallah a informé Henry Céant que son hélicoptère n’allait nulle part, tant qu’il n’aura pas touché les arriérés que lui doit la présidence. Quand le Premier ministre l’a informé que son chèque était bien disponible, il refusait de donner l’ordre au pilote d’aller chercher le président, précisant pour le chef du gouvernement que tout ce qu’il racontait ne signifie rien tant qu’il n’aura pas reçu son argent, bien ici, «chez moi».

Malgré les propos rassurants de Jean-Henry Céant, M. Abdallah ne se laissa pas attendrir. Il est resté à son refus d’ordonner au pilote d’aller chercher le président.

Au bout du compte, Jovenel Moïse a été contraint de regagner la résidence officielle du chef de l’État en compagnie de sa femme et deux ou trois autres membres de son entourage rapproché.

Jean-Henry Céant pénètre tout le sens de l’humiliation

Luco Désir l’a raconté, et des proches de la présidence ont confirmé que Jean-Henry Céant s’est senti profondément humilié. Aussi n’a-t-il pu contenir ses larmes en faisant le récit de l’incident, en Conseil de ministres.

Le chef du gouvernement s’est senti particulièrement outragé par le fait que le gouvernement haïtien n’est pas en mesure de faire l’acquisition d’un hélicoptère. Et bien qu’il ne l’ait pas mentionné, on a l’impression qu’il a pensé au scandale PetroCaribe. Car, si ces fonds étaient bien gérés, le gouvernement serait en mesure, tout au moins, de prendre un hélicoptère en location sur le marché international, au lieu de se faire « gruger » localement par Shérif Abdallah.

Deux aspects à chaque question

Quoi que puisse dire Jean-Henry Céant pour maîtriser sa récrimination mortifère, il y a deux aspects à chaque question. Il aurait pu peut-être subir moins le choc de l’attitude d’Abdallah en tenant compte de ce que ce dernier il a subi d’un client qui passe pour un menteur invétéré. Par exemple, a-t-il interrogé ce créancier du président pour savoir à combien s’élèvent les arriérés et depuis combien de temps qu’il traîne la facture restée impayée.

Ce procédé utilisé par Shérif Abdallah pour se faire payer par l’État contraste avec la manière dont il traitait avec Jovenel Moïse au début de sa présidence; et même jusqu’à il y a à peine six mois.

En effet, un proche d’Abdallah a laissé entendre que les arriérés se sont accumulés systématiquement, au cours des quatre derniers mois, et qu’en dépit des promesses faites, les paiements tardaient encore à venir. Ces informateurs ont fait savoir que Shérif Abdallah « est sorti de ses gonds » après avoir compris que le gouvernement est en faillite et que la dette de la présidence à son égard risque de perdurer.

Il semble que les dépenses faites par Jovenel Moïse, qui n’a aucun sens des priorités, ne soient pas approuvées par Abdallah, en ce sens qu’il pense que le président a encore des moyens de lui payer, mais qu’il ne s’est pas donné la peine de se mettre à sa place.

On se souvient que Shérif Abdallah était un des bailleurs de fonds « les plus sûrs » de Jovenel Moïse, ayant investi des millions dans la campagne de ce dernier, y compris USD 2 millions qu’il avait versés à l’Espagnol Sola qui avait la responsabilité d’entreprendre la relation publique pour le candidat.

On ne peut pas oublier que, au fort de la campagne des Petro Caribe Challengers, c’était chez Abdallah, au Juvénat, que Jovenel Moïse avait choisi de se réfugier, surtout le soir, quand il avait décidé de déserter sa résidence privée, à Pellerin, pour raison de sécurité. Dans les milieux commerciaux et politiques, cette situation traduit avec éloquence la grande détresse économique dans laquelle se débat le gouvernement, qui ne peut plus compter sur la générosité de ses bailleurs de fonds locaux, au moment où la communauté internationale lui tient la dragée haute. D’aucuns sont allés même jusqu’à dire que la rebuffade infligée à Jovenel Moïse par Shérif Abdallah s’ inscrit dans une logique de perte d’autorité qui serait de nature à présager des situations encore plus graves. Puis que, à force de mentir, face à la situation franchement précaire de l’économie du pays, la confiance des hommes d’affaires du pays dans le gouvernement Moïse-Céant s’érode dangereusement. C’ est pourquoi on ne devrait pas s’étonner que d’autres bailleurs de fonds locaux du président emboîtent le pas à Shérif Abdallah.


cet article est publié par l’édition de l’hebdomadaire Haiti-Observateur, édition du 19 décembre 2018 et se trouve en P.1, 2 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2018/12/H-O-19-dec-2018.pdf