Pour qui parle Kenneth Merten ?

LES HAÏTIENS RENVOYÉS AUX ÉLECTIONS POUR RÉSOUDRE LE CRIME DE PETROCARIBE

Pour qui parle Kenneth Merten ?

Depuis qu’a été lancé le mouvement PetroCaribe, dont l’objectif premier vise la poursuite des dilapidateurs des USD 3 milliards $ générés par la vente des produits pétroliers vénézuéliens en Haïti, l’ambassade des États-Unis, à Port-au-Prince s’était gardée d’exprimer sa position. Mais immédiatement après l’intervention de l’ambassadeur Kenneth Merten, ancien ambassadeur des États-Unis en Haïti, ex-coordonnateur du dossier d’Haïti, au Département d’État et présentement sous-secrétaire d’État pour les Affaires latino- américaines et caribéennes, dans le cadre d’une interview accordée à l’émission créole de La Voix de l’Amérique, la Mission diplomatique américaine a émis un communiqué qui semble «désavouer» les propos tenus par M. Merten. Gare à ceux, allant trop vite en besogne, qui veulent jeter la pierre à la chef de la diplomatie américaine en Haïti. En diplomatie, il est question de fixer les désaccords en douce, et d’imposer le changement sans violence.

En effet, de tout ce qu’a débité Kenneth Merten, dans ses réponses aux questions du journaliste de La Voix de l’Amérique, une seule idée est revenue en leitmotiv : ceux qui descendent dans la rue (les manifestants de PetroCaribe Challenge) pour exiger le départ du président Jouvenel Moïse doivent souffrir que les élections aient lieu pour accoucher d’un nouveau chef d’État. Tout le reste est répétitions insignifiantes et vieilles rengaines qui caractérisent la carrière diplomatique de celui-là, eu égard à Haïti. À l’heure où tous les diplomates étrangers basés en Haïti soit dans leurs interventions individuelles (ambassadeur de France ou de Suisse) ou collectives (le CORE GROUP, par exemple) évoquent la légitimité du mouvement PetroCaribe Challenge, M. Merten a décidé de l’ignorer souverainement. Dans ce cas, il se loge carrément à la même enseigne que les voleurs des USD 3 milliards escamotés par des ex-premiers ministres, ministres ainsi que d’autres hauts fonctionnaires de l’État.

Face à ces déclarations «personnelles» de Kenneth Merten mijotées avec ruse pour leur donner un caractère officiel illégitime, l’ambassade des États-Unis s’est empressée de remettre les pendules à l’heure. « Les États-Unis, partenaire de longue date et ami d’Haïti, partagent le désir d’Haïti d’avoir un avenir meilleur pour son peuple.

Les États-Unis soutiennent les droits des peuples du monde entier de s’exprimer librement et de manifester pacifiquement, et supportent le gouvernement haïtien dans la mesure où il garantit à la fois ces droits et la sécurité des biens publics et privés. Nous encourageons un dialogue constructif afin d’aborder les points de désaccord et de trouver des solutions durables sans violence. Nous exhortons toutes les parties et tous les leaders à travailler ensemble en vue de faire avancer le dialogue politique dans le sens des intérêts et des aspirations du peuple haïtien ».

Appui au peuple s’exprimant librement et manifestant pacifiquement; le gouvernement aussi, dans la mesure où il garantit ces droits et la sécurité des biens publics et privés

En effet, après avoir, dans son communiqué, affirmé son « soutien » aux droits des peuples du monde entier de s’« exprimer librement et de manifester pacifiquement » ainsi que le gouvernement haïtien, le communiqué de l’ambassade rappelle au gouvernement Moïse-Céant : « dans la mesure où il garantit à la fois ces droits et la sécurité des biens publics et privés ». C’est en vue de se donner les moyens de répondre à cette mise en garde que le Palais national et la primature ont fait venir des mercenaires étrangers pour mater le mouvement PetroCaribe Challenge.

Le rapport de l’ambassade américaine fait aussi l’éloge de la Police nationale dont elle décide l’action méritoire par rapport à la sécurité des vies et de biens, également dans l’accompagnement des manifestants. Après toutes ces considérations, il dit que « Les États-Unis reconnaissent la légitimité démocratique du gouvernement d’Haïti et de ses institutions, et autorités élues. Nous exhortons le gouvernement haïtien à poursuivre ses efforts de renforcement de l’État de droit, la bonne gouvernance et pour la lutte contre la corruption afin de garantir la stabilité politique et économique ».

Toutefois, il faut situer les exhortations formulées dans ce document dans leur contexte diplomatique, surtout après les interventions de la chargée d’Affaires américaine, en décembre 2017, rappelant à Jovenel Moïse son inaction contre la corruption, après avoir pris l’engagement de lancer une campagne contre ce fléau. Aussi bien après les remarques de la représentante du secrétaire général de l’ONU, Suzan Page, faisant l’éloge de plaignants se constituant parties civiles, et appelant à la nomination d’un juge d’instruction pour connaître le massacre de civils, dans la zone de Bolosse, au sud de la capitale. Sans oublier l’intervention de l’ambassadeur suisse en Haïti dont le tour de service touchait à sa fin.

En effet, Jean Luc Virchaux, ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la Fédération helvétique, en fin de mission en Haïti, témoin, durant plus de trois ans, des dérives de l’administration Martelly-Lamothe et de Martelly-Paul, d’abord, puis de celle de Moïse-Lafontant, ainsi que de l’obstruction de la justice de Jovenel Moïse, par rapport au dossier PetroCaribe, n’a pas recouru à la langue de bois pour se prononcer sur l’expérience qu’il a faite de la gouvernance des deux régimes tèt kale. Aussi avait-il profité de la célébration de la fête de son pays, le 1er août, à l’hôtel Montana, pour suggérer un changement de système politique en Haïti, mettant en avant le concept de la « refondation », selon lui, seul moyen de permettre au pays de « renaître » différemment. Le diplomate suisse pense qu’il faut renoncer à « maintenir le statu quo et à poursuivre le cauchemar».

De toute évidence, Jean Luc Virchaux n’est pas le seul diplomate étranger en poste en Haïti à relever ces observations. Il est plus que certain que les faits qu’il a exposés sur le fonctionnement des gouvernements haïtiens font l’objet de discussions au sein des représentants diplomatiques. On peut parier, comme cela se fait, dans le cadre des activités régulières de diplomates, qu’il a adressé des rapports à son pays concernant la manière dont le pouvoir haïtien assure la gestion économique, sociale et politique du pays. Sans l’ombre d’aucun doute, les membres du CORE GROUP n’ignorent pas les constats faits par le diplomate suisse. Autrement dit, Jean Luc Virchaux n’a pu résister à la tentation d’exposer la vérité de la réalité qu’il a vécue durant son temps de service en Haïti, tandis que ses collègues ont opté pour faire de l’ « hypocrisie diplomatique ». À coup sûr, leur manière de présenter les faits par rapport à leurs dernières déclarations sur la crise politico-sociale d’Haïti s’inspire de raisons politiques et diplomatiques. Dès lors, les vrais patriotes doivent prendre leurs recommandations pour ce qu’elles valent.

Kenneth Merten, un intervenant intéressé ?

Pour avoir été ambassadeur des États-Unis en Haïti, puis coordonnateur du dossier haïtien, au Département d’État, avant d’accéder au poste de sous-secrétaire d’État pour les Affaires latino-américaines et de la Caraïbe, Kenneth H. Merten mérite une attention spéciale de la part des patriotes haïtiens, surtout après sa dernière intervention relative à la présente crise socio-économique d’Haïti.

En effet, il est opportun de s’attarder sur les prestations de l’ambassadeur Merten par rapport à notre pays. Cela permettra d’identifier les intérêts auxquels sont liées ses différentes prises de position. Commençons par souligner qu’en tant qu’ambassadeur des États-Unis, à Port-au-Prince, au fort de la controverse autour de la nationalité américaine de Sweet Mickey, il fut le premier à faire une déclaration publique à ce sujet : Michel Martelly, disait-il, n’est pas citoyen américain. Dans les milieux diplomatiques, à Washington, on répétait alors que, suivant le protocole établi, l’ambassadeur américain n’était pas obligé d’intervenir, à ce niveau, dans le dossier.

En Haïti, d’aucuns affirment que Kenneth Merten s’acharne à intervenir dans les crises haïtiennes toujours en s’érigeant en défenseur des intérêts du pouvoir, depuis la présidence de Michel Martelly, parce qu’il est partie prenante de l’affaire PetroCaribe. Aussi, explique-t-on dans certains milieux diplomatiques, que les opinions émises par le diplomate américain sur Haïti sont intéressées, parce que marié à une Américaine d’origine haïtienne, il défend les intérêts des membres de la famille Moscoso et ceux de leurs alliés dans les affaires, tous bénéficiaires directs ou indirects, des millions extraits du fonds PetroCaribe. Selon des sources proches de l’ambassade des États- Unis, M. Merten ne serait pas étranger à la capture de Clifford Brandt, dans le kidnapping des enfants de l’homme d’affaires Moscoso. On laisse croire que c’est grâce à l’intervention de Merten que la Police haïtienne aurait été mise sur la piste de Brandt et de ses associés dans ce crime.

On peut dire que d’autres hommes d’affaires du pays ont subi les affres du kidnapping. Mais jamais la Police n’est intervenue la manière dont elle avait pris charge de l’affaire Brandt.

Mais il y a pire encore. Un proche du Groupe Bigio, souhaitant rester anonyme, fait état des relations de l’ambassadeur Merten avec ce dernier. Selon lui, M. Merten a été pour beaucoup dans l’octroi de plusieurs contrats à ce groupe financier haïtien totalisant USD 300 millions $, y compris celui du dragage du port de Port-au-Prince.

La firme des Bigio a fait la une dans la presse et les réseaux sociaux, ces derniers temps, en raison de la dénonciation faite à son encontre laissant croire que les travaux de dragage du port de Port-au-Prince n’ont pas été effectués, alors que les fonds destinés à cette fin ont été payés à cette firme par l’État. Dans la mesure où la somme destinée au financement de ces travaux ont été décaissés du fonds PetroCaribe, il est allégué que l’intervention de l’ambassadeur Merten en faveur « des élections » pour changer de président en Haïti ne vise qu’à empêcher que soient poursuivis en justice les anciens Premiers ministres, ministres et autres hauts fonctionnaires de l’État impliqués dans le vol ou le détournement des USD 3,8 millions $. Parce que, laisse-t-on croire encore, même après la fin de son tour de service en Haïti, Kenneth Merten continuait à jouer un rôle certain auprès des Bigio. Si l’allégation selon laquelle l’ambassadeur Merten entretient des relations d’affaires avec ces hommes d’affaires haïtiens, suite au financement léonin dont le groupe Bigio a bénéficié, on peut parier qu’il y aurait transgression de la loi américaine. Et par voie de conséquence, la mobilisation de l’appareil judiciaire des États-Unis. Car si la justice est prise en otage par Jovenel Moïse et ses alliés, tant au sein du pouvoir qu’en dehors de l’administration publique, chez le grand voisin, nul n’est au-dessus de la loi. Comprendra donc qui voudra bien !

PetroCaribe : Une vaste conspiration internationale ?

Plus le mouvement Petro-Caribe Challenge prend de l’ampleur, plus les personnes indexées se mobilisent pour l’étouffer. Cette tendance était remarquée au début avec une campagne de dénigrement contre les sénateurs Youri Latortue et Évalière Beauplan, qui avaient, tour à tour, piloté les deux enquêtes de la Commission éthique et anticorruption du Sénat, enquêtes qui avaient épinglé au moins une douzaine de Premier ministres, ministres et autres hauts fonctionnaires de l’État. Parallèlement des actes d’intimidation, et même de violence ont été perpétrés contre ces parlementaires, notamment l’attaque aux gaz lacrymogènes lancée contre une boîte de nuit, au Cap-Haïtien, dans le nord du pays, qui avait fait un mort et plusieurs blessés.

Sans l’ombre d’aucun doute, le mouvement PetroCaribe Challenge a évolué au fil des trois derniers pour se transformer en un véritable rouleau compresseur qui donne la frousse aux voleurs des USD 3,8 milliards $. Ces derniers ont fait appel à leurs alliés internationaux, dans l’espoir qu’ils pourront les aider à renverser la vapeur. C’est pourquoi tous ceux, à l’échelle internationale, qui ont un lien quelconque avec cette vaste conspiration ourdie contre le peuple haïtien se sont mobilisé, directement ou par personne interposée.

Quand on connaît la longue liste de compagnies accusées d’avoir participé au pillage du fonds PetroCaribe, et qui ont des actionnaires, silencieux ou anonymes, prêts à se jeter dans la mêlée afin de faire échec au mouvement PetroCaribe, sinon à l’écarter de son objectif, on peut avoir une idée des gros intérêts qui n’hésitent pas à engager d’immenses ressources, en vue d’étouffer l’action des PetroCaribe challengers de manière permanente. Si Kenneth Merten a vraiment les responsabilités qu’on lui prête, dans l’affaire PetroCaribe, les dilapidateurs de ces milliards de dollars et leurs alliés de tous bords et de toutes nationalités pensent qu’il est temps de faire donner l’artillerie. Nous nous proposons de revoir ce dossier, afin d’éclairer des zones d’ombre qui semblent cacher d’autres surprises. L.J.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 28 novembre 2018, en P.1, 13, et se trouve à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2018/11/H-O-28-november-2018.pdf