Nouvelle Crise Politique en Haïti et l’Incertitude des Groupes Musicaux

La Nouvelle Crise Politique en Haïti et l’Incertitude des Groupes Musicaux pour la Saison Estivale 2018 par Robert Noël

Rien n’est certain dans la vie. Souvent, nous faisons des planifications sans même penser aux
imprévus. Cela est si vrai que des groupes musicaux ont, de très tôt, publié leurs calendriers d’activités pour la saison estivale 2018 en Haïti. Cependant, le dernier soulèvement de la population, eu égard à la hausse des prix des pro- duits pétroliers, a tout chambardé. Ce qui crée une situation de vive tension qui affecte toutes les couches sociales du pays et les activités nocturnes.

Un brin d’espoir dans la désolation
Aujourd’hui, un calme apparent s’établit au pays. Malgré tout, on est vraiment sur le qui-vive, ne sachant comment Haïti se réveillera demain.Ce qui accentue l’incertitude des groupes musicaux concernant leur tournée estivale en Haïti. Ils sont tous indécis à cet égard. Quand on leur demande leur opinion sur leur prochaine tournée en Haïti, toutes les réponses convergent dans le même sens : « Nap gade toujou poun wè sa k ap fèt ». Ils vivent d’espoir, pensant que la situation va s’améliorer dans les jours qui viennent.

On doit comprendre la situation des musiciens « konpa », tout en se rappelant que la musique  représente leur gagne-pain. Donc, ils vivent de la musique, et pensent aussi qu’Haïti est le pays
qui soit capable de déterminer le succès de leurs nouvelles compositions ou de leurs plus récents
disques. D’après ces artistes,s’ils réussissent en Haïti, ils pourront réussir n’importe où – « if they can make in Haïti, they can make it anywhere ». On doit respecter les croyances. Certaines gens vont se dire pourquoi ces orchestres décident-ils de se rendre en Haïti, alors qu’ils pourraient gagner mieux aux États-Unis pendant la saison estivale ? La réponse est simple. Ils évitent la période de vaches maigres aux États-Unis, entre mai et août. Ils s’apparentent aux oiseaux migrateurs, qui changent de location
selon les saisons et s’orientent grâce au soleil.Haïti n’est-elle pas la terre de soleil ? Ala la vi ki di se lavi mizisyen.

On doit supporter les musiciens dans leurs démarches à cause des divertissements qu’ils nous offrent. Mais, ils doivent se montrer respectueux à l’égard du public et ponctuels aux soirées. Malgré la crise politique aiguë battant son plein au pays, certains groupes, évoluant en terre étrangère, aimeraient maintenir la tradition liée à leur tournée d’été en Haïti. L’on se demande quels intérêts peuvent avoir les groupes musicaux qui choisissent d’entrer au pays natal en ce moment, où la réussite de toutes les soirées dansantes n’est pas garantie. Est-ce un sentiment de patriotisme qui les anime ou l’espérance d’une bonne recette, malgré la dépréciation de la monnaie haïtienne ? D’ailleurs, il a été question
d’afficher l’admission aux soirées dansantes en gourdes.

Les groupes musicaux cherchent refuge dans les villes de province
Le chômage et la misère sont palpables en Haïti, après les événements des 6, 7 et 8 juillet, puisque
certains patrons, dont les compagnies ont été victimes de pillages et d’incendie, ont dû mettre à pied un nombre incommensurable d’employés. Les promoteurs, qui fonctionnent en Haïti, ne sont pas non plus détendus, ils vivent aussi dans l’incertitude. Certains d’entre eux font souvent croire que leur lecture de la situation en Haïti diffère de celle qu’on se fait à l’étranger. Peu importe leur analyse et leur position sur la question d’instabilité et d’insécurité au pays natal, beaucoup d’Haïtiens vivant à l’étranger déci- dent de ne pas retourner au bercail cet été. On pense que même les « fêtes champêtres » seront affectées. On espère que cela ne se confirme pas.

En un certain sens, ces fêtes vont servir de thermomètres pour savoir s’il y aura possibilités de réussite des soirées dansantes à travers le pays. La fête de Sainte Anne, par exemple, qui est célébrée le 26 juillet, va-t-elle connaître l’éclat qui l’a toujours marquée,soit à la capitale ou dans des villes de province ? Le 26 juillet 2018, on compte placer un buste de Nemours Jean-Baptiste à la Place Sainte Anne, entre les rues Saint Honoré et Carbone, en face du Lycée Toussaint Louverture, à Port-au-Prince, une proposition du ministre de la Culture et de la Communication d’Haïti. Qu’en sera-t-il, considérant la caducité du cabinet ministériel, depuis le samedi 14 juillet dernier ? Si une telle promesse est tenue, l’ex- ministre ne pourra pas l’inaugurer en tant que tel, il sera taxé d’usurpation de titre. Nemours
Jean-Baptiste le mérite bien.

Certains groupes musicaux visent le marché des villes de province,s’imaginant que le calme et la sécurité y sont plus garantis que dans la capitale haïtienne.Ils veulent tous utiliser la stratégie de
Gazzman Couleur qu’ils critiquaient, parce que Disip accumulait des prestations en province
pendant toutes ses tournées estivales. Le chanteur de Disip préférait faire « ti tèk bò wonn ». Ils avaient même collé une étiquette de « djaz pwovens la » à Disip. Cette formation musicale leur laissait le champ libre, leur permettant d’envahir la capitale et ses banlieues. La concentration des groupes musicaux à Port-au- Prince a toujours créé un encombrement, asphyxiant le marché local. Gazzman a fait école, il leur a montré le bon chemin. Ils suivent les traces de Disip en ce sens. Ironie de la vie !

La donne a aujourd’hui changé. Aujourd’hui, tous les orchestres cherchent refuge dans les villes de province, particulièrement au Cap-Haitien. Ils aimeraient tous être à l’affiche au Feu-Vert Night Club, qui, aujourd’hui, est considéré un landmark — un site emblématique. Dans cette ville mythique et historique s’érigent deux patrimoines musicaux répondant aux noms de « L’Orchestre Septentrional » et « l’Orchestre Tropicana », qui représentent des archétypes pour les jeunes musiciens disciplinés. On ne peut pas parler de Cap-Haitien sans mentionner les noms de ces deux ténors de la musique dansante haïtienne.

On remarque aujourd’hui que toutes les formations musicales veulent offrir, au moins, une prestation au Cap-Haitien pendant leur tournée estivale, qu’elles soient de format réduit ou de grand format. Espérant que la crise politique se dénoue au plus vite, on souhaite du succès à tous les groupes musicaux qui rentreront au pays. Nous devons ensemble nettoyer et laver les yeux d’Haïti pour qu’elle puisse marcher sans fausser le pas sur le chemin du progrès et du développement dont nous rêvons tous, car kwout je pa linèt. Pour que cela soit possible, le changement individuels’avère nécessaire.

La division et l’hypocrisie entre groupes musicaux confirment bien que l’industrie konpa dirèk fonctionne à l’image du pays. Si on les voit jouer en tandem, c’est à cause du cachet qu’on leur offre, mais ils se haïssent les uns les autres. Pourtant, ils prêchent tous la paix, l’union, la fraternité et l’amour du prochain à travers leur musique. S’ils acceptent de partager une double affiche avec un autre groupe, c’est simplement pour masquer leur faiblesse. Car, quand ils jouent seuls, ils ne peuvent drainer la
grande foule.

Pour savoir si un groupe a vraiment de la poigne sur la scène HMI, il faut l’afficher seul dans un club à grande capacité en ce moment. On verra le résultat. Les groupes musicaux d’aujourd’hui sont comme des partis politiques haïtiens, avec la seule différence qu’ils sont à la fois pour et contre la même chose. Danger social ! Vraiment, si ce marché musical konpa dirèk générait des millions de dollars par année, les musiciens s’entre-tueraient à la seconde, chaque jour.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur édition du 25 juillet 2018 et se trouve en P. 16 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2018/07/H-O-25-Juillet-2018.pdf