Les groupes musicaux haïtiens et l’incertitude du marché konpa dirèk : Un moment inquiétant de l’histoire musicale par Robert Noël
Tout passe, sauf l’histoire et la culture. L’histoire du konpa dirèk permet d’évaluer les conditions d’existence de ce genre musical aujourd’hui. Malgré l’effort des groupes musicaux, une certaine peur se ressent dans ce monde aujourd’hui. Face à l’incertitude, l’attitude de la grande majorité des groupes musicaux a changé et a provoqué un bouleversement qui laisse entrevoir un recul parmi les orchestres les plus connus avec l’approche de la Coupe du monde de football. Cela se remarque surtout au niveau des produits mis sur le marché avant juin 2018.
Les nouvelles productions musicales ne garantissent pas le succès escompté
La prudence de certains groupes et la bravoure des autres s’expliquent par le nombre de chansons ch offertes au grand public cette année. Dans le premier cas, les effets que va avoir la Coupe du monde de football sur le marché konpa dirèk en sont la cause, les obligeant à produire un mini album contenant moins de sept chansons. Dans le second, les plus osés prennent le risque de mettre un disque complet en circulation,soit de onze ou de treize chansons, sans même penser à une stratégie de promotion et de marketing. La promotion est fonction du temps et des paramètres liés à une quelconque situation inhabituelle.
On a relevé un certain changement au niveau d’affluence aux bals, ces derniers temps. Il y a une baisse considérable de participants aux soirées dansantes et les orchestres ne sont pas à l’affiche toutes les fins de semaine, comme cela se faisait dans le passé. Pourtant, dans l’esprit des musiciens, la production de nouvelles œuvres les devrait les aider à bénéficier de contrats alléchants. Tel n’est plus le cas. Le business de la musique konpa dirèk devient plus risquant pour les promoteurs et les orchestres qui ne font pas une telle analyse. L’étude du marché devient de plus en plus importante en ce moment.
Certains managers d’orchestres évoquent la période d’existence du Skah-Shah pour prouver que cette formation musicale avait produit un « single » de seulement deux chansons. C’était aussi le temps des disques 45 tours. Ils empruntent cette voie dans le but de faire ressentir leur présence sur la scène HMI. Ces managers oublient de signaler qu’à cette époque le Skah-Shah, le Tabou Combo, les Gypsies de Queens, l’Original Shleu-Shleu, Top Gyps animaient des kermesses dansantes un peu partout, particulièrement à Equus Discothèque, à Brooklyn, New York. Ces activités attiraient surtout les étudiants des écoles secondaires (High Schools) et ceux des collèges de New York et de New Jersey.
Aucun groupe d’aujourd’hui n’offre une telle possibilité à ces jeunes qui ne peuvent participer aux soirées dansantes. Dans le temps, les frais d’admission étaient à la portée de tous. Et cette activité n’avait pas affecté les soirées dansantes qu’organisaient ces groupes musicaux populaires. Ce n’est pas la première Coupe du monde de l’histoire du football. Quand on remonte le cours de l’histoire, on constate que les groupes musicaux des années 70-80 existaient et fonctionnaient en période de Coupe du monde et s’adaptaient bien à la situation.
Les stratégies de promotion et de marketing d’hier ne s’adaptent pas aux besoins d’aujourd’hui
Dans les années 70-80, les groupes musicaux avaient simplement utilisé des stratégies pour contourner les obstacles que pourrait représenter une Coupe du monde de football. Lors, les Haïtiens s’intéressaient aussi à cette grande activité sportive internationale. Il semble qu’ils soient devenus plus passionnés aujourd’hui qu’avant. Par exemple, les sympathisants des sélections du Brésil et de l’Argentine vivant au pays accordent plus de priorité au football qu’à la musique en période de Coupe du monde.
La musique, cette composante de la culture haïtienne, a toujours joué un rôle important dans la vie de ce peuple. En diaspora, les effets seront moins terribles pendant la Coupe du mon- de. Malgré tout, les propriétaires de boîtes de nuit se verront dans l’obligation de trouver d’autres alternatives. Les rencontres de football se joueront dans la matinée et tôt dans l’après-midi, heure d’Haïti. Certains travailleurs haïtiens d’outre-mer s’arrangent pour que leur période de vacances coïncide avec l’horaire de la Coupe du monde.
Les promoteurs seront aussi obligés de repenser leurs stratégies et vont, dans la mesure de leur capacité, proposer d’autres formes de divertissements. Une défaite du Brésil ou de l’Argentine pourra affecter la vie nocturne, même quand les matchs se jouent un peu tôt. Les promoteurs d’aujourd’hui n’assurent pas vraiment les rôles que confère un tel titre. Le marché konpa n’a que des organisateurs occasionnels de soirées dansantes. Ils assurent simplement la promotion d’une soirée et tout s’arrête là. Ils réapparaissent sur la scène HMI quand ils ont la possibilité d’organiser un autre bal. Certains d’entre eux sont aujourd’hui mécontents de la façon dont les responsables de groupes musicaux et certains musiciens les traitent, et dénoncent un manque de respect à leur égard. Certains d’entre eux engagent des groupes musicaux et s’évadent avant la fin du bal pour ne pas payer la balance due aux musiciens. Qui veut son respect se le procure, d’après le proverbe.
Il y a aussi des animateurs de radios qui empruntent de l’argent de ces musiciens et ne le remboursent pas.Ils ont été dénoncés par les bailleurs de fonds. D’autres demandent des cadeaux des musicaux. Comment espèrent-ils bénéficier du respect de la majorité des musiciens ? Le marché musical konpa dirèk devient de plus en plus dangereux et ris- quant. Ce qui fait que les promoteurs investissent de moins en moins.
On espère que la stabilité revienne après juillet, ce pour réactiver la vie nocturne, tant en Haïti qu’en diaspora. Il faut quand même considérer qu’on est déjà en période cyclonique, un fait qui ne doit échapper aux groupes musicaux. Considérant tous ces faits, les groupes musicaux doivent penser à d’autres possibilités, au cas où leur courte tournée estivale 2018 serait troublée entre fin juillet et fin août. L’incertitude du marché konpa dirèk crée une situation de haute tension et inquiète plus d’un.
cet article est publié en P.16 de l’édition du 06 juin 2018 de l’hebdomadaire Haïti-Observateur et se trouve à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2018/06/H-O-06-juin-2018.pdf