LE RETOUR À L’ANCIENNE FORME MUSICALE COMPAS DIRECT

Par Robert Noël
Le compas direct jouissait encore d’une popularité qui surpasse les autres genres musicaux d’Haïti. On est unanime à reconnaître que toute musique subit des modifications à travers le temps. Dans certains cas, d’autres styles émergent sans pour autant altérer la rythmique. Ce qui permet d’identifier la source culturelle où ils trouvent leur origine. La forme de musique que jouent les orchestres haïtiens d’aujourd’hui a soulevé des débats sur la façon dont cette musique de danse est dénaturée. Une telle observation force plus d’un à se questionner sur la nature de la musique qu’offrent les musiciens au public.
On ne peut blâmer les musiciens sans tenir compte du public qui les encourage dans leurs démarches de dénaturation de ce genre musical. Il les supporte dans leur laxisme démesuré. On ne saurait non plus oublier les animateurs de radio qui n’ont pas le courage de dénoncer la pauvreté de production de leurs bienfaiteurs devant lesquels ils tendent leur sébile, afin de bénéficier d’une soirée à prix réduit ou une quelconque faveur. Tout ceci va à l’encontre de l’éthique professionnelle et de ce que prescrit la déontologie journalistique.
La revisite du passé pour garantir un meilleur futur
Quand on jette un regard rétrospectif sur le divertissement en général, on se dit que tout est à refaire dans l’industrie haïtienne de la musique. Et quand on évalue la majorité des disques produits à l’ère techno, on se rend compte que les productions accusent d’une rigidité due à l’usage excessif des gadgets électroniques qui ne sauraient traduire les émotions humaines. Aussi confèrent-ils une allure mécanique aux compositions. Tout est programmé, les voix des chanteurs aujourd’hui sont autotunées. La différence touche l’oreille quand ils sont présents en spectacle live. L’autotune est un logiciel qui permet de modifier la voix et de fixer la justesse.
On est en pleine phase de duplication musicale, c’est-a-dire que tous les groupes musicaux font du copier-coller « copy and paste ». L’autotune est utilisé live dans certains circuits, mais pas dans le cas des groupes musicaux haïtiens. Toutes les formations musicales, qui se regroupent sur l’étiquette HMI, adoptent le même principe en ce qui a trait au mode de production. Ils prennent pour référence le disque qui leur avait garanti un succès dans le passé et reproduisent exactement son contenu auquel ils ajoutent des paroles différentes.
Au niveau des instrumentistes, rien n’a changé. Ils tirent des clichés, des « licks »/phrasés passe-partout (alimèt Bengal) et les insèrent dans de nouvelles compositions. Actuellement, les groupes les plus populaires reprennent les anciens tubes de leurs prédécesseurs quand ils animes aux bals. Pourtant, ils tiraient à boulets rouges sur les musiciens d’hier. Pour se protéger des critiques et des actions légales, ils se servent de la formule hypocrite : hommage au Tabou Combo, hommage aux Frères Dejean, hommage au Skah-Shah #1, hommage à l’Orchestre Tropicana, hommage à l’Orchestre Septentrional, etc.
Toute cause produit un effet. Analysant la situation actuelle de l’industrie du konpa, où les reprises des musiques d’hier deviennent une nouvelle tendance, on constate qu’un nouveau phénomène se produit. Les groupes musicaux actuels ouvrent la porte d’entrée sur le marché aux orchestres d’hier qui leur avaient ouvert le passage. Ils leur rendent la réciprocité aujourd’hui. C’est là une invitation de retour sur scène indirectement lancée à ces derniers. La logique se résume en ceci : s’ils reprennent nos musiques, nous pouvons refaire surface en offrant l’original, se disent les musiciens d’hier. Chaque dé cade impose ses exigences et ses besoins.
Le moment paraît propice pour un retour à la source originale compas direct, où un répertoire varié trouve pleine grâce. Les boléros reprennent force et vigueur, à l’occasion des soirées de levée de fonds organisées par des associations philanthropiques crédibles et honnêtes. Les boléros de Nemours Jean-Baptiste comme « Gi nou »; « Fini » du groupe « Les Ambassadeurs », « Rêve Bleu » de « Les Fantaisistes de Carrefour », « St Valentin » de l’immortel Shleu Shleu, « Natacha » du Tabou Combo, etc, sont repris à ces soirées. On a l’impression de vivre un phénomène d’osmose musicale. Si cela se tient, il pourra aider à la relance de la musique de danse haïtienne.
La décadence se mesure sans marge d’erreur
Certains facteurs prouvent que la musique de danse haïtienne connaît une décadence. Le nombre de
participants aux soirées dansantes a considérablement chuté. On remarque que des groupes musicaux
qui, en 2015-16, drainaient entre 1 000 et 1 500 participants aux soirées, ne peuvent plus réaliser un tel exploit. Par exemple, en mai dernier, ces groupes ne réunissaient qu’entre 200 et 300 personnes. Un tel fait se remarquait aux soirées organisées à New Jersey, Spring Valley, Long Island (NY), Connecticut, Miami, Orlando, West Palm Beach, etc.
Même les organisations philanthropiques en souffrent, puisque tous les habitués qui, chaque année, participent à ces soirées traditionnelles ne se déplacent plus comme autrefois. Ils ne s’intéressent plus aux soirées qu’animent les orchestres dits populaires, sachant qu’ils n’offrent que le même répertoire (men m ti bagay la), donc du déjà vu, déjà entendu ou déjà consommé. Certains de ces orchestres ne respectent pas les clauses du contrat. Les éternels groupes retardataires se moquent des gens honnêtes et respectueux, arrivant au lieu du rendez-vous très tard, sans être sanctionnés.
Le non-respect des clauses d’un contrat est sujet à des sanctions légales. Pourtant, quand les groupes en question honorent des contrats d’un promoteur étranger, ils se plient et se replient pour satisfaire à toutes les demandes de celui ou de celle qui les engage. En plus, ils n’objectent pas quand l’organisateur étranger leur sert du prêt-à-manger « fast food », soit aux Antilles ou ailleurs. Il faut que
le respect soit réciproque dans le milieu haïtien. L’Haitien a aussi droit à ce même respect. Et pourquoi
pas ? Les organisations ou associations philanthropiques, sous aucun prétexte, ne doivent pas tolérer ces groupes musicaux retardataires. Ce qui nous étonne le plus c’est que ces groupes musicaux exigent des montants exorbitants des associations philanthropiques haïtiennes, en sus des frais d’hôtel et des repas.
Ces orchestres utilisent tous les subterfuges du monde pour obtenir le maximum en tout, même de faux signataires de contrat, des prête-noms et même des comptes bancaires n’appartenant ni au maestro ni au manager du groupe musical. C’est une façon de se couvrir au cas où l’organisateur de la soirée ou le promoteur voudrait intenter une action en justice contre leur formation musicale. C’est comme du vol à main armée. Nous connaissons bien le monde dans lequel ils évoluent comme la paume de notre main.
Nous parlons en connaissance de cause. Il faut souhaiter que ces orchestres prennent le temps de créer des musiques de bonne facture en s’inspirant des groupes d’hier qui peuvent leur servir d’archétypes. Le traditionnel répertoire « men m ti bagay la » dérange au lieu d’assurer l’évolution des groupes musicaux.
robertnoel22@yahoo.com 

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