L’ONU s’est-elle finalement réveillée de son sommeil ? par Léo Joseph

INSÉCIRUTÉ ET L’EMPIRE DES GANGS ARMÉS EN HAÏTI

  • Les Nations Unies tire la sonnette d’alarme
  • L’ONU s’est-elle finalement réveillée de son sommeil ? par Léo Joseph

Il y a un proverbe qui dit «Mieux vaut tard que jamais». Le volteface orchestré par l’organisation des Nations Unies (ONU), par rapport au danger que représentent les gangs armés, en Haïti, après avoir gardé le silence si longtemps; ou bien, plus grave encore, après que les représentants spéciaux du secrétaire générale dans le pays eut affiché une attitude coupable pro-Jovenel Moïse, vaut son pesant d’or. Ces dernières prises de position de l’organisme mondial exprimées après que d’autres diplomates, notamment les Français, eurent dénoncé la situation générale de la politique haïtienne, méritent une attention particulière.

En effet, l’ONU, par l’organe de sa représentante, qui dirige le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BI NUH), Helen La Lime, a émis un communiqué de presse, le mardi 20 octobre 2020, dans lequel elle tire la sonnette d’alarme par rapport au grave danger que représentent les gangs armés, alliés du pouvoir, exécuteurs de basses œuvres du Palais national.

Endormie depuis de longs mois, alors que les malfrats semaient le deuil et la mort dans les quartiers populaires et les assassinats sont perpétrés au quotidien, à travers le pays, l’organisme international semble trouver la situation alarmante. C’est pourquoi, dans le communiqué, elle dénonce la fragilité du contexte sécuritaire, dont les épisodes de violence ne cessent de se répéter à l’échelle nationale, mais principalement à la capitale.

Dans ce communiqué de presse, l’organisation des Nations Unies rapporte qu’après le départ des dernières forces de la MINUJUSTH, il y a un an, le contexte sécuritaire haïtien demeure « fragile », avec une recrudescence d’épisodes de violence dont la population est la principale victime.

Attirant l’attention sur l’assassinat du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, qui a eu lieu le 28 août 2020, le communiqué fait état d’assassinats en série ayant fauché la vie de nombreux citoyens, des pères et mères de famille, enfants et étudiants, avocats, travailleurs et entrepreneurs, toutes catégories confondues, qui dominent l’actualité.

Alors que des centaines de citoyens, y compris des femmes et des enfants en bas âge, ont été massacrés par des criminels, à la solde des officiels du pays et que la représentante du secrétaire général de l’ONU faisait la sourde oreille, voire s’acoquinait avec le Palais national, l’opposition haïtienne, qui ne cessait, par des manifestations, communiqués de presse et prises de positions publiques, depuis des années, dénonçait ces dérives de Jovenel Moïse et son équipe, la majorité des diplomates en poste en Haïti affichait une attitude nettement pro-Moïse. Il semble, comme on dit souvent en Haïti, le vent ait changé de direction.

Dans le document diffusé aujourd’hui (mardi 20 octobre), l’ONU fustige les auteurs des massacres dans les quartiers défavorisés, attirant l’attention sur la situation désespérée des fa milles rendues sans abri par les tueries sommaires et la destruction de leurs maisons par le feu de manière délibérée orchestrés par les malfrats. Aussi le document affirme-t-il que « Des centaines de familles sont actuellement hébergées dans des abris de fortune après que leurs maisons aient été incendiées par les gangs, notamment dans les quartiers de Bel Air et de La Saline. Des défenseurs des droits humains et des journalistes sont menacés de mort pour avoir révélé et dénoncé des injustices. Des manifestants, tel que l’étudiant Grégory Saint-Hilaire, sont tués ou blessés en prenant part à des mouvements de revendication pacifiques. C’est sur cette réalité que se fondent les demandes citoyennes pour plus de sécurité et de justice ».

Les criminels affectent la vie des citoyens dans toutes ses dimensions

Bien que l’évolution des gangs en Haïti ne date pas de deux ou trois années seulement, le communiqué de l’ONU reste muet sur les origines de ces criminels qui ont même pu se regrouper en fédération, sous le nom de « G-9 en famille et alliés » avec pour chef Jimmy Chérizier, dit Barbecue, pourtant « activement recherchée par la Police », avec la bénédiction du pouvoir en place, qui assure leur survie en leur pourvoie en armes, munitions et argent, l’organisme international juge opportun de dénoncer avec véhémence l’insécurité entretenue par ces hommes. Aussi, comme pour témoigner à la face du monde, l’ONU ajoute :

« Dans la capitale, les bandes criminelles armées sapent de plus en plus l’autorité de l’État et ont causé une augmentation brutale du nombre de victimes dans certains quartiers. La violence des gangs a une incidence directe sur l’activité économique, formelle et informelle, sur l’emploi, et sur l’attractivité du pays. Elle se fait également sentir au sein des ménages en situation de vulnérabilité, dont elle réduit l’accès – déjà limité – aux services, y compris d’assainissement, de santé et d’éducation. Eu égard à la polarisation actuelle de la sphère politique, cette violence est particulièrement préoccupante à l’approche d’un nouveau cycle électoral, alors même que les auteurs des attaques armées de ces dernières années à Grande Ravine, La Saline ou encore Bel Air n’ont toujours pas été traduits en justice ».

Plus loin, dans son communiqué, l’ONU, qui dit condamner avec force « tous les actes de violence contre la population qui contribuent à la montée de l’insécurité sur le territoire national », fait état des responsabilités de l’État haïtien envers les populations dont il a l’obligation d’assurer la sécurité. Aussi invite-t-elle les dirigeants haïtiens à prendre toutes les mesures urgentes et nécessaire afin de protéger les populations. Car, dit-elle encore, celles-ci sont prises en otage par les activités des gangs.

Dans ce communiqué, l’ONU frappe très fort sur la table, laissant voir qu’une nouvelle vision de la situation globale en Haïti vient de prendre naissance, au sein de cette organisation. Et elle ajoute ceci : « Nous encourageons les acteurs étatiques, à commencer par la CNDDR – l’entité nationale chargée de la coordination de lutte contre la violence au sein des collectivités, et les acteurs de la société civile, y compris les groupes de jeunes et de femmes, à amplifier leurs efforts pour réduire la violence dans chaque communauté à travers le territoire »,

Selon toute vraisemblance, cet te levée de boucliers de l’ ONU contre l’insécurité et les gangs qui en sont la cause, autorise à croire que d’autres interventions sont à prévoir. L’organisme international souligne ceci:

« Au-delà de l’aspect sécuritaire, une réduction forte de la violence requiert une approche holistique visant à s’attaquer non seulement aux symptômes et manifestations du phénomène des gangs, mais également à l’ensemble des causes profondes de la criminalité et de la violence – qui trouvent leurs racines non seulement dans le terreau fertile que constituent la pauvreté, le manque d’opportunités économiques et le manque d’espoir, mais également dans les présumés liens diffus entre élites politiques, élites économiques, et bandes criminelles armées. Il est à cet égard urgent que la stratégie nationale de réduction de violence communautaire développée par la CNDDR soit endossée aux plus hauts niveaux de l’État et que sa mise en œuvre soit non seulement appuyée par les acteurs nationaux et internationaux avec une coordination rigoureuse, mais également pleinement financée »,

À la lumière de ces déclarations de l’ONU, il y a lieu de croire qu’une ère nouvelle vient de sonner et que d’autres voix vont se faire entendre, dans le cadre des nouvelles dispositions qu’on est en droit d’attendre de la communauté internationale par rapport au régime sanguinaire et décrié de Jovenel Moïse. Il semble que les dernières positions énoncées au sein du monde diplomatique prennent Jovenel Moïse de court, invitant à croire que ses espoirs d’élections faites sur mesure et la tentation d’assurer la perpétuation du PHTK vont très prochainement s’évanouir. L.J.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. L, No. 41 Édition du 21 octobre 2020 et se trouve en P. 1, 7, 14 à : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2020/10/H-O-21-octobre-2020.pdf