Quand un maillon fort de la chaîne de ma fratrie se brise

Quand un maillon fort de la chaîne de ma fratrie se brise, et emporte avec lui une fraction de la période de mon enfance et de mon adolescence

Je remonte des fonds pour confirmer que mon grand frère # 2, Yves Th. Saint-Gérard, vient de nous quitter. Neuropsychiatre de profession, il a étudié à Toulouse, France, et a pratiqué dans le centre hospitalier d’Aurillac avoisinant Figeac, dans un site faubourgeois de Toulouse.

C’est à Figeac où il avait choisi de fonder une famille, d’implanter son Home, sweet home, et d’établir son cadre professionnel, que se déroulèrent ses funérailles, ce lundi 03 septembre écoulé. Il les  avait souhaitées strictement intimes, et sans fleurs.En revanche, c’est dans un véritable halo d’affection et de
sympathies lui venant d’amis de Paris, de Toulouse et de Figeac que sa dépouille fut déposée dans sa dernière demeure.

En effet, ce lundi matin-là, le cortège formé de la dizaine de personnes constituées de ses proches parents et d’amis intimes, dont la liste avait été dressée par Yves en personne, arriva aux abords du cimetière de Figeac. À ma surprise, une foule impressionnante — (pas moins d’une cinquantaine de personnes) — attendait à l’entrée du cimetière. Bouquet en mains, pour certains, ce cortège, en appendice, semblait bien décidé à rendre un dernier hommage à cet homme adopté par cette région… Yves fut alors enseveli, de fait, sous un parterre de fleurs, et entouré d’une foule inattendue, contrairement à sa volonté. Aller savoir pourquoi l’amitié, l’affection et l’amour ont ainsi tenu en flagrant
échec ses dernières volontés.

Yves Th. Saint-Gérard a quitté ce monde, en laissant dans la plus grande stupéfaction, et en pleine affliction, en plus de la famille élargie: sa compagne son fils de 25 ans, ses frères et sœurs. Interdits, abasourdis ! Yves fut un homme aussi élégant que simple, loyal,sensible, entier, passionné, et fidèle en amitié. Il fut de ceux qui ne s’autorisent pas à trahir un ami, mais qui, face à la trahison de l’autre, parvient à lui trouver des circonstances atténuantes, pour continuer de cheminer sans haine, ni aigreur.

Déjà, en cours d’adolescence, il se positionnait contre les injustices et les abus. À une certaine époque, habité par les illusions et la fougue de sa jeunesse, il exprima ouvertement, son désaccord avec ce en quoi nul n’était supposé avoir la voix au chapitre. Profondément engagé dans la lutte contre l’a-civisme, il souffrit de devoir rester loin du pays à cause de ses convictions, qu’il ne sut jamais renier. Au cœur des plus grandes déconvenues, il se rebattit sur l’écriture. En effet, ses écrits lui servirent d’outil de  conscientisation, et de canal d’expression de son refus catégorique de se compromettre.

Le psychiatre en lui n’a pas arrêté d’observer, d’analyser l’Haïtien dans son ressenti, son comportement et ses dérives; et, de ce fait, ses publications assurées par Les Editions Eché, Privat et/ou l’Harmattan, par exemple, en ont dit très long, car il n’y a pas fait que dénoncer et critiquer. Il y a proposé les solutions qu’il estimait judicieuses. À part ces livres mentionnés, ses articles n’ont cessé d’apparaître dans les colonnes de certains journaux, que deux ou trois mois de cela. Sa bibliographie personnelle se trouve ci-des- sous. Je l’introduis par ces deux titres :

— Haïti, l’enfer au paradis : mal développement et troubles de l‘identité́ culturelle, auteur Yves Saint-Gérard, Éditions Toulouse : Éché, 1984;

L’état de mal en Haïti : sous-développement, dominantes pathologiques, pratiques et perspectives médicales, avec des études sur le SIDA, le vaudou et la médecine traditionnelle, ainsi que sur la zombification Author : Yves Saint- Geŕard Publisher: Toulouse : Eché, 1984. Series : L’Espoir assassiné Haïti : Les enfants de la Haine et de la Violence Yves Saint-Gérard Les Editions L’Harmattan

De façon plus exhaustive, j’ai retrouvé sa bibliographie complétée de la première de couverture de certains titres sur Amazone et sur le site de l’Harmattan. Les titres parlent des préoccupations du citoyen et de l’humaniste que fut par-dessus tout le neuropsychiatre.

Dans le milieu médical du centre d’Aurillac, où il prit en compte ses responsabilités au sein de la section de psychiatrie, pour ensuite y assurer ses services de consultant en neuropsychiatrie, il fut investi de la confiance et de l’estime de ses collaborateurs jusqu’à la fin, à en juger par les chaleureux témoignages reçus personnellement de personnes inconnues de moi, au cimetière.

Yves Saint-Gérard a vécu en assumant sa passion pour une terre qui a accueilli ses premiers  vagissements, qui l’a vu grandir. Il a nourri son amour du terroir, en luttant pour s’autoriser à croire qu’il n’était pas insensé de garder l’espoir de voir son peuple arrêter de dédier de grands discours à Haïti et de lui chanter son amour, pour se résoudre enfin à réfléchir et à agir avec un sens de rationalité et une conscience civique, afin de la faire renaître de ses cendres. Cette Haïti dont il avait rêvé, il ne la verra certes pas, mais puisse son fils et ceux de nous tous, s’y reconnaître un lien dont ils sont fiers, et une place, où il fait bon vivre. C’est ce qui explique son investissement dans ce projet « Hispaniola debout » auquel il a donné le meilleur de lui-même, aux côtes de son grand ami Jean-Claude Valbrun. Par cette dernière initiative sociale qui se déroule actuellement dans les Bateys en République Dominicaine, il aura été jusqu’au bout d’une mission qu’il semblait avoir choisi de mener à terme. Son objectif a été, et est demeuré de :Servir. En ceci, il est parti en paix, et fort d’avoir tenté d’en faire encore mieux.

Pour ma part, la chaîne de notre fratrie a cédé aux sursauts de l’impondérable. Un important maillon s’en est détaché. Il a emporté avec lui qui fut : un frère présent, une période importante du chapitre de mon enfance et de mon adolescence. En outre, cet oncle qui était le Tibo des neveux et nièces aura de même jeté un voile sur ces séquences enjouées de vie partagée.

Je conclurai, en insistant sur le fait que l’homme qui vient de tirer sa révérence à ce monde, s’en est
allé avec sérénité en laissant un précieux héritage à son fils qui lui en a confirmé la bonne perception
et en a pris l’engagement solennel, à travers ce poème d’auteur inconnu, qui fit frémir plus d’un, au cimetière :

Le Guide

En ce jour, je voudrais te rendre le dernier hommage Toi, qui me guidas en ce monde plein de marécages. Tu m’as appris les valeurs qui constituent la vie, Et pour tout cet amour je veux te dire Merci.

Je n’oublierai rien de toi, je marcherai sur tes pas, Si je m’égare enfin, fais-moi signe d’être-là.

Je perds un peu de mes repères et beaucoup de moi-même. En dépit du passage, je sens bien que tu m’aimes. Cet amour me fait vivre au-delà de la mort, Rien ne nous séparera, pas même le coup du sort. Ce n’est qu’un au-revoir, je ne veux pas d’adieux, Il reste le souvenir de nos moments heureux

La vie est dans nos cœurs, alors elle se poursuit Même si, dans le mien, il y a un peu de pluie, Demain sera un autre soleil qui nous éblouira, À la chaleur de l’Amour, il y aura encore toi.
Carmelle St.Gérard-Lopez Pour Mémoire.- 9 septembre 2018


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 12 septembre 2018, P. 1, 12 et se trouve à : http://haiti-observateur.org/HO12septembre2018.pdf