MALFINI MANKE POUL LI PRAN PAY par Léo Joseph
- Jean Henry Céant devient Premier ministre
Après deux infructueuses tentatives de se faire élire président de la République, le notaire Jean Henry Céant s’est fait octroyer un gros prix de consolation en devenant le Premier ministre de Jovenel Moïse, en tant que remplaçant de Jack Guy Lafontant, âme damné du chef de l’État. À partir de ce moment, d‘aucuns pensent que le nouveau chef du gouvernement se trouve dans une position stratégique pour
couver « des ambitions les plus intimes » souhaitant que la chance aide à concrétiser ses rêves.
Un peu plus de deux mois depuis que Jack Guy Lafontant a été forcé de rendre son tablier comme Premier ministre, suite aux émeutes des 6,7 et 8 juillet déclenchées par l’augmentation des prix des produits pétroliers, M. Céant a été installé dans sa fonction par le chef de l’État. L’énoncé de sa politique générale a été approuvé en Chambres séparées, la séance au Sénat ayant précédé celle de la Chambre des députés.L’entrée en fonction du nouveau chef du gouvernement est intervenue le lundi 17
septembre, au Palais national, soit quelque six semaines après sa nomination par le président Moïse.
Au bout d’une séance marathonienne et houleuse ayant débuté vendredi après-midi (14 septembre), et au cours de laquelle les sénateurs tenaient à énoncer leurs différences et les raisons qui allaient les porter à voter pour la ratification de la politique de Céant, le vote en faveur de ce derniers’est tenu à l’aube, le lendemain samedi. Les sénateurs ont ratifié Jean Henry Céant avec 21 voix pour, cinq contre et deux abstentions.
Dans l’après-midi du samedi (15 septembre), c’était au tour des députés d’ouvrir la séance de ratification suivant le même horaire de leurs collègues du Sénat. Elle est commencée aux environs de 6 heurs, les membres de la Chambre basse présents, soit 89, sont passés au débat qui a duré 11 heurs de temps. Au décompte, fait dimanche matin, vers 5 heures, 84 députés ont voté en faveur de la ratification de Céant, tandis que cinq ont voté contre et quatre se sont abstenus.
Les parlementaires de la majorité présidentielle, tant au niveau du Sénat qu’à celui de la Chambre des députés, sont venus collectivement à la rescousse de Jean Henry Céant, les mêmes qui avaient ratifié Jack Guy Lafontant. En ce sens, ceux qui faisaient croire que cette majorité était volée en éclats doivent se raviser. Car si effectivement cette majorité ne tenait plus, la présidence a dû trouver une formule pour recoller les morceaux.
L‘affaire PetroCaribe, qui fait présentement l’objet de manifestations permanentes, en Haïti et à
l’étranger, était le principal sujet à l’ordre du jour. Aussi le nouveau Premier ministre a-t-il été obligé
de prendre un engagement concret dans le sens de la « finalisation », dit-il, de ce dossier. Il a affirmé qu’il s’attellera à la tache en vue de trouver une solution à cette épineuse question qui divise la nation.
Intervenant sur ce même sujet, Gary Bodeau, président de la Chambre basse, s’est déclaré en faveur de l’intervention d’une firme de spécialistes internationaux qui sera chargée d’examiner les dossiers et les registres du compte PetroCaribe en vue de donner son avis de sa situation.
Comme toujours, le président Moïse donne l’impression d’aller vite en besogne dans la lutte contre la corruption, en général, mais sans jamais poser un geste concret contre les dilapidateurs du fonds PetroCaribe.
En effet, lors d’une interview à Radio-Télévision métropole, dans la matinée du lundi, avant même la prestation de serment du nouveau Premier ministre, il faisait des déclarations relatives à la corruption. Interrogé directement sur PetroCaribe par un journaliste, M. Moïse a répondu en faisant remarquer qu’il fallait remonter au 1er janvier 2006, pour arriver au 31 décembre 2016, période à laquelle Haïti a reçu
USD 833 millions $, sous formes de prêts, de dons et d’autres allocations de la part de la communauté internationale. Pourtant, a-t-il encore souligné : « Tous nos indicateurs sont au rouge ».
Abondant dans le même sens que le député de Delmas, Gary Bodeau, le chef d’État haïtien s’est déclaré en faveur de la prise en charge du dossier PetroCaribe par une firme internationale spécialisée. Mais il s’est empressé d’enchaîner qu’Haïti est un « pays souverain », il ne peut, à lui seul, prendre une telle décision, estimant qu’il serait avantageux de discuter ce sujet dans le cadre du Conseil des ministres.
Quels sont les atouts dont dispose Céant pour résoudre le problème d’argent ?
Jean Henry Céant a pris le contrôle de la primature dans un contexte de pénurie chronique de fonds. Le marasme économique auquel se trouve confronté le pays a contribué à la chute de Jack Guy Lafontant. Nonobstant les promesses qu’aurait pu faire miroiter au président en ce qui a trait aux possibilités d’attirer des investisseurs et l’aide internationale, le notaire ne sera pas en mesure de mobiliser les bonnes intentions en faveur de l’administration Moïse-Céant. Ce qui n’avait pu être fait pour l’équipe
Moïse-Lafontant. À moins que Me Céant soit en mesure de sensibiliser les sources de financement locales pour renflouer les caisses de l’État, il se verra forcé de gérer le statu quoi en ce qui a trait à la pénurie d’argent qui semble avoir la tête dure.
Avant même d’aller plus loin, il faut se rappeler que Me Céant n’aura aucun rôle à jouer, sinon qu’à obéir aux diktats de Jovenel Moïse exécutant, à son tour, les mots d’ordre de Michel Martelly. Cela doit se concevoir bien quand on sait que le nouveau Premier ministre n’a eu l’autorisation de nommer aucun des membres de son cabinet ministériel. Si jamais il a eu les coudées franches pour en choisir un, ce serait un poids plume du genre ministre des Haïtiens vivant à l’étranger. De toute évidence, ces
derniers sont appelés à agir sous la dictée du patron du président, le prédécesseur de celui-ci, et qui
l’avait choisi pour lui redonner la présidence une fois son mandat terminé.
Il faut retenir aussi que nombre de détenteurs de capitaux locaux craignent d’attirer l’attention sur eux du fait de n’avoir pas les coudées franches pour lâcher leurs millions dans le système bancaire international. Car les gardiens de celui-ci sont aux aguets de manière permanente, surtout par rapport aux banques privées haïtiennes qui ont la « mauvaise réputation » de brasser des millions en argent sale.
D’autre part, certains milieux bancaires pensent que les fonds disponibles sur place ne pourraient suffire à soulager les carences qui accablent les décideurs haïtiens. D’aucuns pensent que l’impossibilité de débloquer les millions en argent sale stockés localement ne peuvent servir à soulager l’administration politique du pays pour ne pas susciter l’attention des autorités bancaires internationales, notamment les
institutions américaines, qui ont mis Haïti sur la liste noire.
La réputation de Céant le suit comme son ombre
D’autres observateurs estiment que Jean Henry Céant a d’autres raisons de se sentir « ostracisé » dans les milieux de la haute finance internationale, ainsi qu’auprès de certaines ambassades étrangères. Il a surtout une mauvaise presse par rapport à certains services américains, notamment la Drug Enforcement Administration (DEA), dont les agents déployés sur le terrain, en Haïti, présentent Me Céant comme le notaire des trafiquants de drogue. Dans cet ordre d’idées,sa réputation le suit comme son ombre.
En effet, ces derniers reprochent au nouveau Premier ministre de servir de « banque » pour les drogues dealers qui déposent en « sûreté » chez le notaire des sommes extraordinaires en liquide et des objets de valeur. À en croire ces agents de la DEA, Jean Henry Céant détient de loin davantage d’argent liquide dans ses coffres-forts que la plupart des banques de la place. Ils lui reprochent d’héberger les millions que ceux qui font le commerce de drogue ne peuvent déposer dans les banques. Car celles-ci limitent les montants que les trafiquants peuvent placer chez elles tout en insistant que, obéissant aux exigences du système bancaire international, ces montants ne sauraient dépasser USD 10 000,00.
Dans la mesure où les faits avancés parles agents de la DEA contre Me Céant sont vrais, il est possible que les parlementaires soient aussi des clients du notaire. Il faut préciser aussi que la quasi totalité des banques privées reçoivent tout ce que leurs clients trafiquants leur apportent comme dépôts. Les banquiers haïtiens se bornent tout simplement à garder dans leurs coffres-forts les sommes gigantesques des trafiquants, prenant la précaution de ne glisser dans le système bancaire international que des montants très limités. Toutefois, les banquiers haïtiens réussissent, de temps à autre, à effectuer des transferts clandestins de fonds pour leurs clients toutes les fois qu’ils parviennent à tromper la vigilance des autorités bancaires internationales.
Du pain sur la planche
Condamné à mener la même politique qui était imposée à son prédécesseur, Jean Henry Céant est consacré « apôtre de la continuité » par la force des événements.Il ne semble passe formaliser outre mesure, car ayant des ambitions qui l’habitent et qu’il croit pouvoir concrétiser à la faveur de sa présence à la primature. Mais en dépit des avantages qu’il croit être en mesure de retirer en tant que second membre de l’Exécutif, il a du pain sur la planche. Et rien n’autorise à croire qu’il aura la partie belle.
En effet, notre notaire arrive à la primature dans les mêmes conditions que Jack Guy Lafontant, qui n’a pas maugréé de se voir vassalisé par son patron. Assurément, Jovenel Moïse n’est pas sur le point de changer d’attitude et de laisser les coudées franches à Céant pour qu’il remplisse la fonction de Premier ministre comme l’entend la Constitution. On ne sait pas si Me Céant a les reins suffisamment solides pour s’imposer à son patron en revendiquant les prorogatives attachées à la fonction de Premier ministre.
À l’instar de Jack Guy Lafontant, Jean Henry Céant est arrivé à la primature sous la houlette de Jovenel Moïse, un chef d’État se trouvant sous le coup d’une inculpation. Vingt-et-un mois après l’investiture de ce der- nier, le 7 février 2017, le dossier de Moïse relatif au blanchiment d’argent n’a avancé d’un iota. Il
est bruit que le juge d’instruction aurait pris une décision qui n’a toujours pas été rendue publique. Autant dire, la communauté internationale, qui tenait la dragée haute à l’administration Moïse-Lafontant, depuis tout ce temps, n’est pas sur le point d’ouvrir la vanne des millions.
Il y a donc fort à parier que Me Céant sera mis en situation de grimper un « mât suiffé ». Il se verra forcé de gérer les affaires de la nation privé de ressources pour financer les projets du gouvernement, voire même pour faire face aux dépenses quotidiennes.
Jack Guy Lafontant a passé dix-sept mois comme Premier ministre avant que le mécontentement populaire ait eu raison de lui. Avec la levée de boucliers générale mise en train pour exiger que soient restitués les USD 3,8 milliards du fonds PetroCaribe, et un peuple ayant franchi sa limite de tolérance, on se demande si Céant passera six mois à la primature. L. J.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 19 septembre 2018 et se trouve en P. 1, 2, 7 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/09/H-O-19-Septembre-2018.pdf