DIPLOMATIE ET GOUVERNANCE AUX NATIONS UNIES
- L’OIF accueille la présentation du livre de l’ex-Premier ministre Latortue
Un événement d’une importance capitale s’est déroulé à la fin du mois écoulé, au cours duquel a été présenté officiellement le livre de l’ex-Premier ministre intérimaire Gérard Latortue, dans le cadre d’une « conversation » organisée à la Mission permanente de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Il s’agit aussi de témoignages sur les différentes missions de paix des Nations Unies en Haïti pour en tirer des leçons des conclusions de l’expérience haïtienne.
En effet, le vendredi 25 mai écoulé, plus d’une trentaine de personnes, des diplomates et des professionnels de différentes disciplines avaient répondu pré- sentes à l’invitation de participer à cette rencontre prévue entre 13 h 15 et 14 h 30. Après un déjeuner offert par la Mission de l’OIF, l’hôte de l’événement, les participants étaient invités à passer à la salle de conférence.
Sans trop de cérémonie, le délégué permanent de l’OIF près de l’ONU, l’ambassadeur Narjess Saidane, dans une brève allocution, a remercié les invités d’avoir fait le déplacement, tout en leur souhaitant la bienvenue au siège de la Mission de la prestigieuse organisation dont elle assure la représentation. Puis elle a remis le micro à Mme Namie Di Razza, chercheur à l’Institut international pour la paix, qui assumait le rôle de modérateur.
Dans le cadre de cette conversation, trois intervenants se sont succédés au micro : l’ex-Premier ministre Latortue; M. Hervé Lecoq, chef du Service des affaires politiques, au sein du Département des opérations du maintien de la paix (DOMP, qui est aussi le dirigeant de l’équipe MINUSTAH/MINUJUSTH, au siège du DOMP, à New York; et l’ambassadeur d’Haïti près de l’ONU, M. Denis Régis.
L’ex-Premier ministre Latortue au micro.
Mme Di Razza a pris le micro pour s’identifier et tracer brièvement l’itinéraire de sa carrière. En sus d’être chercheur à l’Institut international pour la paix, depuis 2016, elle dit avoir travaillé sur les questions liées aux opérations de paix de l’organisme internationale ainsi qu’à la protection civile. Elle a précisé avoir travaillé pour le Département des Opérations de maintien de la paix; aussi bien pour deux missions de maintien de la paix de l’ONU, à savoir la MINUSCA, où elle a occupé la fonction
d’analyste de l’information à Bangui, République centre-africaine, en 2016; et la MONUSCO
comme agent des affaires civiles à Goma, en République démocratique du Congo, entre 2012 et
2013.
Cette introduction faite, Di Razza a invité le principal et premier intervenant, l’ex-Premier ministre intérimaire d’Haïti, dont elle a fait la prestation politique : Premier ministre d’Haïti du 12 mars 2004 au 9 juin 2016, « suite à la démission et au départ de Jean-Bertrand Aristide, le 29 février 2014. Haut fonctionnaire des Nations Unies pendant plu- sieurs années, il apporte son expertise auprès de l’Organisation internationale de la franco- phonie, dans le cadre de nombreuses missions dans des pays
en situation de transition démocratique », à prendre la parole.
D’entrée de jeu, Gérard La- tortue s’est félicité de la franche et savante collaboration qu’il a trouvée auprès de hauts fonctionnaires de l’administration haïtienne. Mais il a surtout attiré l’attention sur trois personnalités, d’ailleurs présentes dans la salle dont il estime l’apport inestimable. Il s’agit de Raymond A. Joseph (Ray), alors ambassadeur d’Haïti à Washington; Léo Méorès, à l’époque représentant permanent d’Haïti auprès des Nations Unis ; et Jean Junior Joseph, attaché au bureau du Premier
ministre, à Port-au-Prince, en tant que directeur des Communications. Aussi a-t-il profité de l’occasion pour les remercier.
Puis M. Latortue a commencé par dire comment des gens se sont mépris sur son choix comme Premier ministre intérimaire pensant qu’il était l’homme de la communauté internationale ou des Américains. Il a précisé qu‘un des concurrents avait le soutien des Français, et l’autre, des Américains. Mais, dit-il encore, les conditions politico-diplomatiques ont favorisé sa candidature. Aussi, a-t-il précisé, finale- ment, « Avec vous, j’ai eu les deux ».Il dit avoir reçu l’appui de toutes les factions en présence.
L’ex-Premier ministre Latortue a fait l’éloge du président intérimaire Boniface Alexandre, qu’il affirme l’avoir appuyé des le début. Mais il a fait état du leadership de ce juge, président de la Cour de cassation, devenu président de la République, s’étant fait partie prenante de toutes les initiatives du Premier ministre ou bien les appuyant, notamment dans le domaine des réformes de l’administration publique. Il a souligné « la loyauté à toute épreuve du président Alexandre».
Le livre, dont l’ancien Premier ministre intérimaire d’Haïti faisait la présentation, L’œuvre législative du gouvernement de transition d’Haïti (2004-2006), constitue une compilation des réformes dont parle M. Latortue. Celles-ci, dont l’équipe Alexandre-Latortue s’est servi de guide, dans l’administration publique, sont, en théorie, présentement en vigueur.
En Haïti, les lois sont- elles faites pour être violées
À entendre Gérard Latortue évoquer l’application des lois en Haïti, on est tenté de conclure, comme beaucoup d’autres, que les lois sont faites pour être violées dans ce pays. Lors de la présentation de son livre, il a souligné le fait, par exemple, que l’application de la loi sur les appels d’offres,initiée dans le cadre de l’« Œuvre législative du gouvernement de transition », était rigoureusement appliquée. Mais tout a changé à la fin du mandat du gouvernement de transition, les administrations successives ayant donné, sans aucune réserve, dans des « accords de gré à gré ».
Dans le même ordre d’idées, l’ancien chef du gouvernement haïtien, a signalé les dérives dont
sont trop souvent coupables les décideurs. C’est un secret de Polichinelle que les autorités violent les lois à qui mieux mieux. Pour lui « On fait toujours de bonnes lois, mais qui ne sont pas appliquées ». Aussi, M. Latortue préconise-t-il, par ailleurs, la nécessité d’ « aller chercher les causes de la corruption, de la mauvaise gestion de la chose publique ».
Nonobstant ces réformes contenues dans ce livre appelé à être un guide des fonctionnaires, l’ex-Premier ministre intérimaire pense qu’il reste un gros travail à faire, celui d’accompagnement de l’administration publique, afin d’assurer l’application rigoureuse des lois en vigueur.
Selon l’ex-Premier ministre, le gouvernement de transition, qui a succédé à M. Aristide, a eu une coopération quasiment sans faille avec les dirigeants de la MINUSTAH ayant eu pour mission d’aider Haïti. Il pense qu’une telle tache ne peut réussir sans que les décideurs sur le terrain n’aiment pas le pays qu’ils sont appelés à servir. Pour lui, c’est la condition sine qua non de la réussite de la Mission onusien- ne. En ce sens, il a affirmé que, tandis que Juan Gabriel Valdez était plus souple dans son approche, Robert Mueller, quant à lui, affichait une attitude presque autoritaire. Mais il n’a pas caché sa gratitude pour le système des Nations Unie, dont le secrétaire général, Kofi Annan, dit-il, était toujours disponible.
William Gardner : Témoin de la Mission de paix de l’ONU en Haïti
Bien qu’il ne soit pas présente- ment basé en Haïti, William Gardner, attaché au département des Opérations de la MINUSTAH (et maintenant de la MINUJUSTH), a pris, à son tour, le micro. Dans son témoignage découlant des expériences vécues, lors de sa mission en Haïti, notamment le tremblement de terre du 12 janvier 2010, puis des rapports reçus d’Haïti, en plus des visites de mission sur le terrain, il a constaté les difficultés de l‘œuvre de maintien de la paix de l’ONU. Mais, a-t-il précisé, nonobstant
les obstacles, il s’est félicité de la franche collaboration des dirigeants haïtiens et leur détermination ayant grandement facilité la réussite de la mission onusienne, particulièrement en ce qui a trait à la pacification.
Les différentes phases des opérations de la MINUSTAH ont été assumées patiemment, et dans le respect de la souveraineté du pays, jusqu’aux différents renouvellements que celle-ci a connus pour arriver,finalement, à la MINUHUSTH.
Denis Régis et Gérard Latortue
Denis Régis, ambassadeur d’Haïti auprès des Nations Unies, à New York, depuis 2010, quand il fut nommé à ce poste, par Michel Martelly, a rendu un témoignage solide de l’ex-Premier ministre Gérard Latortue. Pour commencer, il a tracé l’origine de ses relations avec ce dernier, qui remonte à 1978, quand M. Régis fut envoyé en mission à Genève, en Suisse. Il se souvient combien il s’était réjoui de l’intervention de l’ex-Premier ministre en sa faveur à l’époque.Le diplomate a souligné qu’il considère ce der- nier comme un « ami » qu’il ne cessera jamais d’admirer et de respecter.
L’ambassadeur Régis, qui a remis ses Lettres de créance au secrétaire général Ban Ki-moun, le 23 juillet 2013, et qui assure avec brio la représentation d’Haïti à l’ONU, a qualifié le livre de l’ex-Premier ministre de « travail de bénédictin », de toute évidence une œuvre qui est appelée à durer, car offrant un cadre légal de fonctionnement des institutions de l’État.
Le temps imparti à la tenue de cette conférence a laissé très peu d’espace à ceux qui voulaient poser des questions. À ce niveau, seulement deux personnes ont pu poser des questions. Le Dr Eddy
Saint-Paul, président du département d’Études haïtiennes (Haitian Studies), à Brooklyn College, a adressé ses questions à l’ex Premier ministre Latortue.
Le Dr Saint-Paul a formulé sa question ainsi : Mr. le Premier ministre, vous aviez affirmé que la transition d’Haïti vers la démocratie est une transition réussie parce que, généralement, nous avions eu des élections à intervalles régulières. Je ne vais pas entrer dans un débat sur la qualité de la
démocratie, comme je ne vais pas aborder l’hyper-ingérence de la communauté internationale
dans l’organisation et le contrôle de ces élections. En ma qualité de sociologue spécialisé dans les
questions politiques, j’aurais aimé vous demander qu’est-ce qui, à votre avis, empêche Haïti de traverser d’une transition politique pour atteindre une démocratie de bonne qualité. Par démocratie de qualité, j’entends un régime politique permettant aux individus-citoyens de vivre avec dignité grâce à une adéquate combinaison des droits et libertés politiques, civiles et socio-économiques ?
Et M. Latortue de répondre : Le problème d’Haïti est haïtien. Il ne faut pas constamment parler de l’ingérence de la communauté internationale. En Haïti, on a une classe politique qui n’est pas intéressée au développement d’Haïti. Durant toute la période que j’ai été Premier ministre, jamais un Haïtien n’était venu me voir pour me faire une proposition sur comment faire avancer le pays. J’ai reçu des gens qui venaient demander un job pour eux et pour leurs accointances.
Une dame originaire de Rwanda, a dirigé sa question à M. Latortue. Impliquée dans l’humanitaire, notamment en faveur des victimes de calamités naturelles, elle voulait savoir s’il lui était possible de trouver une quelconque collaboration en Haïti. L’ancien Premier ministre lui a expliqué que cela est possible, mais qu’elle pouvait s’enquérir auprès des autorités haïtiennes.
La plupart des participants n’ont pas caché leur gratitude, d’une part, à l’égard de l’ex-Premier ministre de les avoir invités à faire partie de cet événement. De l’autre, à l’endroit de l’ambassadeur Narjess Saidane pour l’accueil dont ils ont été l’objet de la part du personnel de la Mission de l’OIF auprès de
l’ONU, ayant fait montre d’une courtoisie sans faille.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 13 juin 2018 et se trouve en P. 1, 2 à cette adresse : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2018/06/H-O-13-June-2018.pdf