Un mauvais signe pour le konpa dirèk

Le plagiat dans l’industrie musicale haïtienne

  • Un mauvais signe pour le konpa dirèk par Robert Noël
  • Arts & Spectacles

La créativité a toujours été la clé du succès dans le domaine de l’art, particulièrement celui de la musique. Et les sources d’inspiration artistique varient d’un artiste à un autre. On dit souvent: « il n’y a rien de nouveau sous le soleil…. et tout ce qui est a déjà été ». Cela n’empêche qu’un artiste soit
original, puisque l’originalité dépend de la manière et non de la matière.

Certains artistes s’inspirent des œuvres à succès déjà connues d’un artiste, dans le but d’atteindre une notoriété similaire à celle du créateur de l’œuvre imitée. Beaucoup d’entre eux, cherchant le succès par tous les moyens, violent le droit d’auteur d’un autre artiste, s’engouffrant dans le plagiat, un acte qui entraîne de graves conséquences juridiques et qui peut leur coûter leur carrière et toutes leurs
acquisitions matérielles.

La chasse aux plagiaires
Certes, les sociétés/agences qui s’occupent de gestion et de violation des droits d’auteur sommeillent. Elles doivent se réveiller aujourd’hui et commencer la chasse aux plagiaires. Personne n’est exempt. C’est une décision qui fait peur aux musiciens se livrant à cette pratique illégale. Le plagiat se remarque
aussi à travers les œuvres des groupes musicaux haïtiens très populaires, que nous connaissons tous. Beaucoup d’entre nous ignoraient leurs sources d’inspiration. Bon nombre de ces orchestres puisent des mélodies ça et là, et ils refusent de donner crédit aux auteurs, créateurs des œuvres dont ils copient les intros, les lignes mélodiques et les textes qu’ils traduisent dans le langage vernaculaire.

Les soi-disant « hit-makers – créateurs de hits » n’ont pas la conscience claire et tranquille puisqu’un jour ou l’autre ils seront traduits par-devant les tribunaux pour plagiat. Malgré l’étroitesse du marché musical haïtien, les enquêteurs peuvent toucher les musiciens évoluant dans un tel environnement. Cette dernière mesure va certainement affecter certains groupes musicaux haïtiens, parmi les plus connus. Il existe des règles qui permettent aux artistes de s’inspirer des œuvres des autres, mais il faut qu’ils obtiennent l’autorisation légale de l’auteur de l’œuvre originale. Un orchestre peut être l’objet de poursuites judiciaires pour l’usage d’un simple riff (un court phrasé musical) de guitare, voire un solo ou une ligne mélodique d’un autre artiste ou d’un autre groupe musical.

La chanson qu’on considère être l’originale peut tout aussi bien découler d’une autre. Ce qui crée une grande confusion. Plagier un refrain constitue également une violation. On a aussi relevé de multiples « copy and paste – copier coller » dans l’univers konpa dirèk. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Si l’on remonte le cours de l’histoire de notre musique de danse, on redécouvrira la chanson, par exemple « Lavi mizisyen», qui a fait histoire. Les paroles nous disent : « Mwen kanpe sou estrad mwen, ma p jwe mizik, wa p danse, wa p gade m, ma p gade w, men nou pa sa pale…a la lavi ki di se lavi mizisyen, lè youn nonm renmen yon fi se ret kanpe gade l ».

La mélodie du morceau « Lavi mizisyen » est tirée de la chanson originale « Je cherche après Titine », un tube vieux de 98 ans qui a été repris à travers le temps en France par des interprétateurs comme Yves Montand, Jacques Brel, et bien d’autres. Selon les règles, un musicien a droit à une tolérance sur huit mesures quand il se sert de la mélodie d’un autre artiste, un principe doit être respecté. La chasse aux plagiaires va peut-être obliger les artistes et groupes musicaux qui s’adonnent au plagiat à se remettre sur les rails de la normalité musicale.

Qui se ressemble s’assemble

On ne peut imputer le plagiat seulement aux groupes qui s’autoproclament « nouvelle génération », puisque l’ancien n’est pas non plus innocent. Quand on considère les productions des formations musicales d’aujourd’hui, on remarque une certaine ressemblance au niveau des riffs et des solos de guitare. Un orchestre haïtien très adulé a utilisé, sur le dernier disque qu’il a produit, un poème et des proverbes d’un poète chinois écrits en français, sans avoir la décence de citer l’auteur original. Et, un musicien influent de ce groupe musical fait croire à tout le monde que le texte est de lui.

Certaines intros latines et mélodies que nous offrent quelques orchestres connus reflètent le plagiat. Des situations de coïncidence musicale peuvent se produire, puisqu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Cela ne suffit pas pour se protéger contre des poursuites judiciaires celui qui produit une chanson similaire à une autre. Dans le cas d’une action en justice pour plagiat, les concepts de pure coïncidence de ressemblance musicale et de l’ignorance de l’existence de similarité musicale avec un autre artiste ne tiennent pas au tribunal. D’ailleurs, l’ignorance n’est pas un moyen de défense dans le cadre d’un procès. Comme la légitime défense, ces considérations sont difficiles à prouver.

Le plagiat est une facette de la contrefaçon. Le fait de produire sur un disque de compilation une version très proche d’un morceau à succès d’un autre artiste expose le contrevenant à une poursuite
judiciaire potentielle. Qui se ressemble s’assemble, même si les musiciens de la soi-disant « nouvelle génération de vieux » refusent de collaborer avec ceux de l’ancienne, prétextant que le temps n’est plus aux anciens. Nèg sa yo, tan yo pase, disent-ils. L’important c’est que ces soi-disant musiciens se rendent maintenant compte que le marché musical dans lequel ils évoluent se meurt graduellement. Le konpa dirèk est déguenillé aujourd’hui. Il faut qu’on le rhabille au « karabela ». Le marché musical haï- tien entre en pleine période de vache maigre, surtout avec la Coupe du monde qui commence cette semaine.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 13 juin 2018 et se trouve en P. 16 à cette adresse : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2018/06/H-O-13-June-2018.pdf