REMANIEMENT DU CABINET MINISTÉRIEL
- Jacques Guy Lafontant maintenu comme Premier ministre
- Heidi Fortuné mis à pied tandis qu’il était en mission officielle à New York; La crise au sein du régime reste entière...
Au moment où le porte-parole de la Présidence déclarait que le chef d’État ne se laisserait intimider (ou influencer) par les pressions l’enjoignant d’opérer le changement du gouvernement, le Premier ministre, dont des parlementaires proches du pouvoir avaient demandé la tête, a fait précisément l’annonce d’un replâtrage du cabinet ministériel. Cet événement inattendu, qui s’est déroulé de manière inhabituelle, risque d’avoir peu d’effet dans les milieux farouchement opposés au médecin Jacques Guy Lafontant, qualifié d’inaptitude en gestion et dénué d’inventivité.
En effet, très tard, dans la soirée du lundi (23 avril), M. Lafontant annonçait un remaniement de son gouvernement à la faveur duquel cinq ministres ont perdu leurs portefeuilles. Face à cette décision, les parlementaires et les milieux qui exigeaient un changement du cabinet ministériel n’avaient pas encore réagi, laissant toujours dans l’incertitude le sort de l’administration Moïse-Lafontant.
Cinq nouvelles personnalités intégrées au cabinet
Le communiqué lu par le Premier ministre Jacques Guy Lafontant, au micro de la Radio nationale, annonce l’intégration de cinq nouvelles personnalités pour remplacer les ministres qui n’ont pas été reconduits. Il s’agit de Roudy Aly, qui remplace Me Heidi Fortuné, au ministère de la Justice; Jobert C. Angrand remplace Carmel Béliard comme ministre de l’Agriculture et des Ressources naturelles; Max Rudolph Saint-Albin cède la place à Jean-Marie Rénaldo Brunet, au ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales; Stéphanie Auguste, jusqu’ici ministre a.i. des Haïtiens vivant à l’étranger, cède sa place à Guy André Junior François.Mais elle est maintenue comme ministre des Affaires sociales et du Travail. Et Guyler C. Delva est nommé ministre de la Culture et de la Communication. Il remplace le prêtre défroqué Limond Toussaint.
Le ministre de la Justice absent du pays, en mission officielle Pour certains milieux politiques, à Port-au-Prince, ce remaniement ministériel a pris une allure grotesque. Car c’est la première fois, dans l’histoire moderne du pays, qu’un ministre a été mis à pied alors qu’il se trouvait en mission officielle à l’étranger.
En effet, Me Heidi Fortuné, un juge d’instruction auprès duTribunal de première instance du Cap-Haïtien, qui avait intégré l’administration Moïse-Lafontant, a appris par téléphone qu’il n’était plus ministre. Car le Premier ministre avait, tard, la veille, introduit cinq nouvelles personnalités au ministère, dont le titulaire de la Justice ne faisait plus partie. Me Fortuné devait apprendre, en même temps, que quatre autres ministres avaient subi le même sort que lui.
Les rumeurs d’un changement du cabinet ministériel faisaient le tour de la capitale depuis plusieurs mois, sans aucune action en ce sens par l’Exécutif. De ce fait, M. Fortuné s’imaginait qu’il n’avait aucune raison de se soucier d’une décision aussi grossière durant son absence. D’autant plus que le président Moïse, par l’entremise du porte-parole du Palais national, Lucien Jura, avait indiqué publiquement qu’il n’y avait, en ce qui le concerne, pas lieu de changer le cabinet ministériel parce qu’il était satisfait de la gestion des ministres sous le leadership du Premier ministre Lafontant.
Le juge Heidi Fortuné était parti en mission officielle à New York et devait retourner au pays le vendredi 27 avril. On ne sait pas s’il a dû couper court à son voyage, car n’ayant plus autorité à négocier ou à prendre de décision au nom du gouvernement.
Par ailleurs, il reste à vérifier la nature de la mission dont le juge Fortuné était chargé. Mais une source, qui veut rester dans l’anonymat, a informé que le périple new-yorkais du ministre destitué était lié à un dossier fédéral concernant au moins deux membres non identifiés du gouvernement haïtien. Au cas où
cette information se confirmait, cela signifierait que la décision de porter ce coup au magistrat-ministre s’inspire de la nécessité d’infirmer la mission de Fortuné, et partant donner du temps aux autorités haïtiennes pour trouver d’autres moyens d’évacuer le dossier.
Bien qu’il ne faille pas prendre cette information pour argent comptant, il ne faut pas pour autant le repousser d’un revers de main. Car, depuis déjà plus de quatre mois, des rumeurs persistantes font état d’une requête soi-disant formulée par les autorités judiciaires américaines concernant la levée de l’ « immunité » d’au moins quatre parlementaires qui seraient impliqués dans le trafic de drogue.
Heidi Fortuné prend cet affront calmement
Le juge Fortuné ne se laisse pas démoraliser par cette décision infâme.Aussi prend-il cet affront
calmement. C’est ce qu’il faut dégager des déclarations qui lui sont attribuées, à la suite de sa
mésaventure, et que lui prête un proche.
En effet, dit ce dernier : « Les grosses tempêtes sont faites pour les gros navires.Ça a été un honneur de servir la République. Je pars en toute dignité avec la tête altière et mon caractère de guerrier ».
Il devait ajouter, sur cette même lancée : « D’autres combats et d’autres défis m’attendent. Je resterai fidèle à mes convictions et à mes idéaux de justice. Je continue mon chemin. Que Dieu bénisse Haïti ! ».
Le Premier ministre convoqué par un groupe de députés pour s’expliquer
Au train ou vont les choses, suite à ce replâtrage du cabinet ministériel, il semble que le dernier mot n’ait pas encore été dite. Car un groupe de députés a demandé au Premier ministre Jacques Guy Lafontant d’expliquer la manière dont les derniers ministres ont été choisis. Ces parlementaires veulent savoir si le protocole établi par la Constitution a été observé scrupuleusement.
Les élus du peuple veulent savoir, en tout premier lieu, si l’enquête requise a été menée sur chaque candidat. Le Premier ministre, qui doit obtempérer aux demandes des parlementaires, doit répondre dans les vingt-quatre heures. On se demande si les nouveaux ministres, qui viennent d’être nommés, seront installés.
D’après l’injonction faite à Jacques Guy Lafontant, il doit donner la preuve que les cinq personnalités nommés ministres son en règle avec la Direction générale des impôts (DGI), s’ils sont conformes par rapport aux exigences relatives à la citoyenneté, etc.
Selon des sources proches du Palais national, ce cabinet est le produit de tractations menées entre Jovenel Moïse, Michel Martelly et Jacques Guy Lafontant qui ont accouché de ces individus pour combler les sièges laissés vacants par la mise en disponibilités des cinq ministres.
On laisse croire que les cinq personnes en question sont surtout des partisans farouches de Martelly, des PHTKistes inconditionnels, et de militants peu connus du public, mais qui constituent le noyau dur du parti au pouvoir.
On prétend que Jovenel Moïse a réalisé ce replâtrage du cabinet comme concession à ces PHTKistes qui manifestaient presque sans arrêt contre lui qu’ils accusaient de les avoir mis au rancart.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 25 avril 2018. Il se trouve en P. 1, 7 à cette adresse : http://haiti-observateur.org/wp-content/uploads/2018/04/H-O-25-April-2018.pdf